Au moment où l’Onu célèbre son 75ème anniversaire, plusieurs défis sont à relever dans le monde et au Cameroun en particulier, où ses agences œuvrent dans la réponse humanitaire de personnes affectées par la crise anglophone.  

Il est 10h30 ce vendredi. C’est le calme au village Bitwingi à Buea, dans la région du Sud-Ouest du Cameroun. Le silence est bientôt rompu par le caquètement des poules. Au milieu de la volaille, une dame, la quarantaine, s’attèle à distribuer de la nourriture dans la basse-cour. D’un geste machinal, Ojong Obi Violet éparpille les aliments de chaque côté de la ferme. La dame âgée de 40 ans environ affiche un grand sourire lorsqu’elle lève la tête et aperçoit devant elle des responsables de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao). Ils sont venus lui rendre visite et prendre des  nouvelles de son activité.

« Vous ne m’avez pas laissé mourir »,

lance cette déplacée interne en se rapprochant de ses visiteurs.

Au plus fort de la crise qui secoue les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun, le domicile de Ojong Obi Violet a été incendié dans son village Kenbong à Mamfé, dans le département de la Manyu. Pour fuir la « guerre », Obi Violet a dû emprunter le chemin de la brousse et trouver refuge chez un proche à Buea, une autre localité de la région où les tensions sont moins perceptibles.

«Là-bas à Mamfé, c’est Bagdad. Les tirs tous les jours. Nous étions 12 à la maison. On n’avait pas à manger  Ici, ça va. On se promène un peu »,

se réjouit-elle.

Cette déplacée interne qui a déposé ses valises à Buea en décembre 2017 a bénéficié d’un appui du Fao. Cette organisation spécialisée du système des Nations Unies au Cameroun lui a permis de se former et de recevoir une aide en matériel et en aliments pour l’élevage des poulets de chair. Aujourd’hui, Obi s’occupe de 100 poulets et peut désormais subvenir aux besoins de base de sa famille.

Non loin de Bitwingi, au village Bokwai, Linda Lyonga Ndome affiche le même sourire. Cette autre déplacée interne du fait de la crise anglophone a fui la localité de Muea pour rejoindre son père à Buea. Dans cette maisonnée qui accueillait désormais 15 personnes, il devenait difficile de gérer la ration alimentaire. Quand elle a connaissance d’un programme du Fao pour l’appui aux personnes déplacées dans la production des œufs, cette mère de 6 enfants n’hésite pas à s’inscrire. Elle est retenue.

Linda Lyonga, une rescapée de crise anglophone a retrouvé espoir grâce au Fonds des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao) au Cameroun. Crédit photo: Mathias Mouendé Ngamo

Aujourd’hui, Linda Lyonga collecte en moyenne 15 œufs chaque jour dans son poulailler, qu’elle revend au marché. Avec l’expérience acquise grâce au Fao, elle peut enfin subvenir aux besoins primaires de sa famille et a déjà pour ambition d’étendre son activité et se diversifier. Emmanuel Pem, le point focal Fao dans le Sud-Ouest, indique que la dame de 34 ans a bénéficié d’une formation. Grace aux financements du Fonds central d’intervention d’urgence des Nations Unies (CERF), Linda a aussi reçu du matériel pour la construction d’une ferme et des aliments pour la volaille.

Des familles sous perfusion alimentaire

Emmanuel Pem rassure que le Fao engagé dans la sécurité alimentaire effectue le suivi de l’activité. En fin 2019, mille familles comptaient parmi les bénéficiaires de ce programme du Fao dans les région du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Quelques projets de bénéficiaires du Sud-Ouest ont reçu la visite en août 2019 de Allegra Baiocchi, alors Coordonnatrice Résidente du système des Nations Unies au Cameroun.

La coordinatrice résidente du système des Nations Unies s’est rendue dans cette région qui héberge depuis 2018 neuf des onze organisations onusiennes à l’occasion de la journée mondiale de l’aide humanitaire. Une région dans laquelle le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (Ocha) et le Fao viennent aussi en appui à l’Ong Irc à Bomaka pour la distribution chaque mois d’aliments à 243 familles constituées de déplacés internes et des locaux.

Dans cette région du Sud-Ouest secouée par la crise anglophone qui a occasionné plus de 5000 déplacés internes en décembre 2019 selon les chiffres de Ocha, les Nations Unies sont à pied d’œuvre depuis deux ans à travers des programmes de protection de l’environnement, de santé et sécurité alimentaire. (ODD1: Pas de pauvreté; ODD2: Faim « Zero » ; ODD3: Bonne santé et bien-être)

Violences basées sur le genre

Sur le plan de la santé de la jeune fille, une Safe House a été construite à Buea. Supportée par le Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa), l’agence directrice des Nations Unies en charge des questions de santé sexuelle et reproductive, elle fournit le soutien psychologique intensif aux filles victimes de violences basées sur le genre. (ODD 5)

« Avant la crise, le problème de violence basée sur le genre se posait déjà. Il s’est accentué avec la crise. Certaines de ces filles que nous recevons n’ont pas de membres de famille »,

renseigne une psycho clinicienne, membre du staff d’encadrement. Elle relève que le centre qui a une capacité d’accueil de 20 lits reçoit des déplacées internes. Ces dernières qui présentent des traumatismes bénéficient d’un soutien psychologique. La Safe House qui œuvre aussi à une indépendance économique des pensionnaires est équipée de matériel pour aider ces jeunes déplacées à se former à un métier.

« C’est un lieu d’accueil temporaire. On les reçoit ici. On les réconforte. Elles reçoivent les services qu’elles veulent. Le délai de séjour ici est de 60 jours maximum. Nous faisons d’elles des survivantes, pas des victimes. Nous allons aussi sur le terrain dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest pour sensibiliser »,

fait savoir une responsable. Le centre dispose d’un office médical.

Au chevet des déplacés internes

Buea, le 15 novembre 2019. Des bénéficiaires attendent la distribution de bons alimentaires à Bomaka. Crédit Photo: Mathias Mouendé Ngamo

Mais plusieurs autres déplacés internes du Sud-Ouest ont aussi la possibilité de bénéficier de soins médicaux gratuits au Mount Mary Hospital de Buea-Town, grâce à un appui combiné de l’Oms, la Croix Rouge et l’Unfpa. L’hôpital reçoit des personnes déplacées internes en provenance de Kwa-kwa, Ekondo Titi et plusieurs autres localités secouées par la crise. Ces patients sont constitués à majorité jeunes filles âgées entre 15 et 21 ans, de vielles personnes, de pauvres et ceux qui ont dû emprunter un chemin par la forêt pour fuir les exactions de tout genre.

« Du 08 juin au 27 août 2019, nous avons reçu 67 femmes et filles abusées sexuellement, âgées de 15 ans et plus. Plusieurs sont tombées enceintes. D’autres sont devenues séropositives probablement »,

fait savoir Mah Cecilia Kongha, l’administratrice du Mount Mary Hospital de Buea-Town. D’après les statistiques collectées en novembre 2019, plus de 15 000 personnes remplissant les critères d’éligibilité ont été soignées gratuitement entre 2018 et 2019 dans cet hôpital catholique qui accueille près de 900 patients par mois, dont environ 400 déplacées internes.  

Une bonne partie de personnes déplacées internes du fait de la crise anglophone a aussi trouvé refuge à Douala, dans le Littoral, région frontalière au Sud-Ouest. Ici aussi, des organisations onusiennes ont initié plusieurs actions d’envergure. Les 15 et 16 mars 2020, une formation initiée par le Fonds des Nations unies pour la population au Cameroun en direction de 90 déplacées internes a permis de  les donner des aptitudes pour s’adapter à leur nouveau milieu et créer des activités économiques.

 « Ces adolescentes se retrouvent en terre nouvelle. Il est important qu’elles soient accompagnées. Il était question de les donner des aptitudes pour qu’elles puissent se prendre en charge et créer des activités génératrices de revenus. Cette action de l’Unfpa apporte une réponse à un besoin du gouvernement »,

a indiqué Isabelle Lafortune Makota, la délégué régionale du ministère de la Promotion de la femme et de la famille du Littoral.

UN 75

Le message du secrétaire général des Nations Unies à l’occasion des 75 ans de l’organisation.

Au moment où l’Onu célèbre son 75ème anniversaire, plusieurs défis restent à relever aussi bien dans le respect des Droits humains fondamentaux, la dignité de la personne humaine, que l’amélioration des conditions de vie. Des principes édictées dans le préambule de la charte des Nations Unies. Dans le cadre de la crise anglophone, des actions sont certes menées, mais le gap est encore énorme. L’aide des différents programmes des Nations Unies et ses partenaires n’atteignent malheureusement pas les populations vulnérables en zones rurales reculées complètement coupées des services de base dans les régions cibles au Cameroun.

Dans les deux régions secouées par les conflits, la situation d’urgence humanitaire s’impose. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, 4,3 millions de personnes sont dans le besoin humanitaire au Cameroun. 299 millions sont requis en termes de financements. 66 millions financés, soit 22% de couverture. Des statistiques de septembre 2019.

La survenue de la pandémie du Covid-19 n’est pas pour arranger la donne. Une plus grande implications des Nations Unies dans la recherche des voies d’apaisement et de résolution de cette crise qui dure depuis 2016 est plus que primordiale pour l’atteinte des 17 ODD (Objectifs du développement durable), si chers à l’Onu et ses principes résumés en: Paix, peuple, planète partenariats et prospérité.

Avec l’enlisement de la crise, le phénomène de déplacés internes, dont les chiffres gonflent avec le temps génère d’autres préoccupations dans les localités d’accueil qui nécessitent des réponses humanitaires. Sur le plan du respect de la dignité humaine, des cas de jeunes filles anglophones obligées de se prostituer pour vivre ont plusieurs fois été rapportés dans les médias locaux à Douala. Il faut ajouter à cela le chômage, le problème d’éducation et la crise du logement.

Evangeline Fanny Kedju âgée de 23 ans que nous rencontrons à une activité de Unfpa à Douala a confié qu’après avoir fui les affres de la crise dans le Sud-Ouest pour rejoindre la capitale économique, elle ne savait où rester. Cette déplacée interne a finalement rejoint six autres filles en location dans une toute petite chambre.

Réinventer l’avenir

Sondage UN 75 des Nations Unies aux camerounais sur l’avenir du monde. Crédit photo: UN

Aussi, la naissance des discours de haine, les Fakenews sur la toile et le Covid-19 ne sont pas pour faciliter les recherches pour la bonne marche du Cameroun et du monde. Une nouvelle « arme de destruction » à laquelle les Nations Unies doivent s’attaquer si l’organisation aspire à défendre ses idéaux de paix et de stabilité.  

D’autres initiatives sont également à mettre en place pour de meilleurs lendemains au Cameroun et au monde. La conversation planétaire initiée par les Nations Unies à travers le concept Un 75 dévoile sans doute plusieurs axes sur lesquels la jeunesse aimerait voir s’attarder l’Onu pour les prochaines années, afin de réinventer l’avenir, au Cameroun notamment.

Dans le monde, l’Onu reste attendue dans la relance du train de vie stoppé ou ralenti brusquement avec la survenue du Covid-19. La relance économique, le défi de l’ouverture des frontières, la résilience, la prévention d’autres grandes catastrophes sanitaires et humanitaire restent les grands challenges que l’Onu devra affronter aujourd’hui et dans les années à venir.

 Mathias Mouendé Ngamo

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