Des eaux d’évacuation des latrines ruissellent le long des voies empruntées par les habitants de ce quartier de l’arrondissement de Douala 4ème.

« Quand nous sommes arrivés ici, nous avons constaté que les eaux sales des fosses sceptiques de la maison voisine se déversaient dans notre cour. Les odeurs nauséabondes qui s’y dégagent sont insupportables. Les passants ont commencé à se plaindre chez nous». Victor Ngonwa n’en peut plus. Il pensait s’être éloigné du pire lorsqu’il a posé ses bagages dans une maison de location au quartier Béssèkè, après les démolitions survenues au quartier Nkomba à Bonabéri il y a environ cinq mois.

Mais la réalité qui accueille le jeune homme est plutôt bien embarrassante. Victor Ngonwa dit s’être rapproché plusieurs fois des propriétaires de la fosse septique, qui n’ont rien voulu entendre. Il y a en plus, les clients des débits de boissons établis près de la chaussée qui courent vider leur vessie devant le domicile de Victor. Le lieu empeste l’urine.

Il y a trois semaines, Victor Ngonwa et son frère ainé ont décidé de trouver une solution à cette situation, avec des moyens de fortune. Ils ont empli des sacs de sable avec lesquels ils ont formé une petite barrière pour canaliser l’eau puante vers une rigole, et l’empêcher d’arroser le passage. Des riverains ont apprécié l’initiative et ont couvert de cadeaux les deux « secouristes ». Les habitants du bloc 14 au lieu-dit Béssèkè 1 peuvent désormais traverser devant la grande cour de Victor pour rejoindre leur domicile, sans courir le risque de marcher sur des excréments. Mais la forte odeur n’a pas disparu pour autant. Elle est encore plus accentuée lorsque le soleil pointe à l’horizon, apprend-on.
Des selles dans la rue

Quartier Béssèkè. Une latrine construite près d'une rigole, à l'entrée d'une ruelle. Photo Mathias Mouendé Ngamo

Quartier Béssèkè. Une latrine construite près d’une rigole, à l’entrée d’une ruelle. Photo Mathias Mouendé Ngamo

A une dizaine de mètres du domicile du déguerpi de Nkomba, l’odeur nauséabonde ne s’est toujours pas dissipée dans l’air. Elle provient cette fois d’un tuyau en plastique fixé aux latrines d’une maison à étage. Les eaux d’évacuation de couleur sombre s’écoulent du tuyau et ruissellent le long de la rue. Il faut se pincer les narines et hâter le pas. Les habitants relèvent qu’ils se sont plusieurs fois plaints chez le chef du bloc 14, en vain.

« Cette fosse septique est située à l’entrée du quartier et déverse des selles dans la rue, en pleine journée. Ca pue ! Je suis allé à la rencontre des propriétaires de cette maison à étage à dix reprises, sans suite. Cette eau et ces odeurs doivent surement être à l’origine des maladies contractées par les enfants qui jouent dans le quartier et se promènent un peu partout, loin des parents », rétorque Gabriel Ngankam, le chef de bloc 14, impuissant.

Non loin de l’ancienne gare ferroviaire de Bonabéri, au lieu-dit Béssèkè 2, un petit couloir permet aux habitants du coin de rallier l’ancienne route. Le chemin est étroit. Des odeurs nauséabondes embaument l’atmosphère et agressent les narines. Des toilettes d’un domicile construites à l’entrée de cette rue déversent leur contenu dans une petite rigole. Une autre fosse septique construite dans le même couloir approvisionne le drain de fortune. L’eau a mauvaise odeur et circule difficilement. Pour cause, la canalisation est obstruée par un pont en planche qui se dresse devant une propriété. « Les enfants jouent souvent près de ces rigoles. C’est le seigneur qui les protège », avance une habitante de Béssèkè 2, émue.

Douala, 29 août 2014. Une petite visite dans une ruelle de Béssèkè. Photo Mathias Mouendé Ngamo

Douala, 29 août 2014. Une petite visite dans une ruelle de Béssèkè. Photo Mathias Mouendé Ngamo

Les différentes rues du quartier Béssèkè présentent le même visage. Tous les passages entre les bâtisses sont à l’étroit. De véritables labyrinthes. Le sol est recouvert par endroit de nappes d’eau sales et puantes. Les odeurs nauséabondes polluent l’atmosphère.

«Les populations sont obligées de dresser les bâches pour célébrer les obsèques des siens sur la voie publique, loin des domiciles, à cause de l’insalubrité, de l’étroitesse des rues et des mauvaises odeurs», déplore Samuel Tamou Nanadjou, chef du quartier Béssèkè 1.

Les puanteurs proviennent aussi des détritus déversés à même le sol dans le quartier, quand bien même des bacs à ordures existent.

Inondations, humidité, maladies
A Béssèkè 2, quatre bacs à ordures sont disposés près d’un grand drain. Les déchets débordent. D’autres détritus jonchent le sol. Un habitant rencontré non loin du dépôt d’ordures relève que la société d’Hygiène et de salubrité du Cameroun (Hysacam) n’a pas un calendrier de passage régulier à Béssèkè, pour le ramassage d’ordures. Notre riverain pense d’ailleurs que les bacs à ordures sont insuffisants dans ce quartier de l’arrondissement de Douala 4ème.

« Il faut marcher sur près de 800 mètres pour trouver un bac à ordures à Béssèkè. Certaines personnes préfèrent verser leurs ordures directement dans les rigoles», argue –t-il. Les animaux tels le chien, le chat, les souris et les cafards prennent alors d’assaut ces tas d’ordures qui encombrent le sol. « Ils s’approvisionnent puis retournent dans les maisons avec des microorganismes, d’où la propagation des maladies », explique Georges Esso, infirmier au centre médico-social de Béssèkè.

Quartier Béssèkè. Des ordures hors des bacs, près du drain. Photo Mathias Mouendé Ngamo

Quartier Béssèkè. Des ordures hors des bacs, près du drain. Photo Mathias Mouendé Ngamo

Aussi, les maisons construites en rangs serrés ne favorisent pas la pénétration des rayons solaires pour éclairer les différentes pièces des domiciles. Les murs sont défraichis. La moisissure a fait son nid dans la plupart des bâtisses. Selon Georges Esso, cet état des lieux est à l’origine des démangeaisons vaginales dépistées chez certaines femmes.

« Il y a des femmes qui ont des démangeaisons vaginales qui ne sont pas liées aux bactéries, mais aux mycoses, à cause de la présence de la moisissure», explique l’infirmier. Le centre médico-social enregistre aussi parmi les patients, des cas d’infection de la peau, les fongiques et les diarrhées. Pour Georges Esso, « l’insalubrité est plus un problème de communauté qu’un problème individuelle à Béssèkè, car, explique –t-il, les maisons sont bien nettoyées, mais les ordures retournent dans les domiciles soit transportées par des animaux, soit lors des inondations ».

Béssèkè, le 29 août 2014. Des bouteilles plastiques obstruent un drain. Photo Mathias Mouendé Ngamo

Béssèkè, le 29 août 2014. Des bouteilles plastiques obstruent un drain. Photo Mathias Mouendé Ngamo

« S’il n’y avait pas eu les travaux dans les drains du bloc ces dernières semaines, c’est que personne n’aurait respiré au quartier après les dernières pluies qui ont arrosé la ville de Douala ». Le chef du bloc 14 qui avance ces paroles indique que des jeunes de sa « circonscription » ont dû se donner à la tâche six dimanches de suite, pour curer le principal drain de Béssèkè 1 obstrué depuis des lustres. Les jeunes bénévoles se contentent du matériel de fortune qu’ils peuvent disposer, dont des pèles, des machettes, des brouettes et autres. Pourtant, se souviennent –t-ils, il y a cinq ans encore, la Communauté urbaine de Douala (Cud) envoyait des engins pour effectuer ce nettoyage. Il n’en est plus rien aujourd’hui. Il faut devoir compter sur la bonne volonté et l’activisme des habitants.

Jeudi de propreté
A Béssèkè 2, non loin de la station service, des bouteilles en plastique encombrent un drain et empêchent à l’eau de circuler librement. La pluie de la nuit a inondé quelques commerces et habitations, comme d’habitude. Mais à en croire les riverains, le résultat aurait été plus catastrophique s’ils ne s’étaient pas voués à la tâche la veille, lors du traditionnel « Jeudi de propreté ». Les habitants de Béssèkè 2 gardent en mémoire ce jour-là, il y a dix ans, où l’eau du drain obstrué était devenue verte et avait inondé tout le quartier. Mais les mauvaises habitudes ont la peau dure. Les chefs de quartier de Béssèkè reconnaissent que certains de leurs administrés sont insoumis. Et pensent qu’il faille mettre sur pied des méthodes de répression pour dissuader les moins entreprenants.

Des eaux souillées ruissellent dans une ruelle de Béssèkè. Photo Mathias Mouendé Ngamo

Des eaux souillées ruissellent dans une ruelle de Béssèkè. Photo Mathias Mouendé Ngamo

Près de la Mosquée de Tanko, un tenancier de restaurant déverse de l’eau sale sur la rue en pavés où défilent véhicules et usagers. En voilà un autre de ces jeunes qui donnent du fil à retordre au chef de Béssèkè 1. C’est un garagiste. Devant son commerce, il y a un tas d’ordures qui, selon les témoignages des riverains, traine dans le coin depuis des mois. Les différentes sommations de Samuel Tamou Nanadjou ont été sans effet sur le garagiste. Il n’a d’ailleurs pas apporté sa contribution lors du « Jeudi de propreté », apprend-on. Cette journée de nettoyage est observée tous les derniers jeudi du mois. Selon le communiqué administratif, ce jour-là, tous les commerces, débits de boissons et espaces marchands doivent restés fermés entre 8h et 12h. Pendant cet intervalle de temps, il revient à chacun de nettoyer devant son domicile ou son commerce.

Ladite journée a été instituée à Bonabéri il y a plusieurs mois par la sous-préfecture et la mairie de Douala 4ème. A Béssèkè, le mouvement citoyen rencontre encore quelques poches de résistance.

«On vit dans un quartier touffu, pas aéré. Les gens entassent les herbes près de la route et ça revient dans les domiciles lors des précipitations. Hysacam ne ramasse pas les ordures entassés près de la route. Il y a des commerçants qui ne participent pas au jeudi de propreté», déplore Samuel Tamou Nanadjou.

L’ancien président du comité d’hygiène et de salubrité de Bonabéri regrette l’époque où les enfants apprenaient à pédaler du vélo dans les vastes ruelles propres de Béssèkè. Aujourd’hui, ce rêve n’est plus possible. Des latrines et autres constructions obstruent les drains et réduisent le passage.

Mathias Mouendé Ngamo

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