La responsable des programmes Afrique centrale et de l’Ouest de Wildaid, parle des conséquences de l’extinction de ce mammifère braconné pour sa chair et ses écailles.
Quel est l’état des lieux du trafic des pangolins en Afrique centrale ?
Wildaid est présent au Cameroun et au Gabon. Dans ces pays, on a développé des campagnes de sensibilisation sur la protection du pangolin. Aujourd’hui en termes d’état des lieux, le pangolin est l’animal le plus braconné dans le monde. Il a été classé par l’UICN dans la catégorie des espèces vulnérables, en voie critique d’extinction et en danger d’extinction (NDLR). Au niveau de l’Asie, il y’a une forte demande d’écailles de pangolin et au niveau local, c’est la viande. Le pangolin est donc soumis à une double menace et sa situation n’est pas sur le point de s’améliorer. Plus les populations vont s’agrandir, plus la consommation se fera grande.
Pourquoi ce commerce continue de prospérer malgré l’interdiction par la loi ?
La viande de pangolin est une viande consommée depuis des générations. Elle est ancrée dans les cultures. Donc c’est une habitude difficile à changer. Lorsqu’on parle de changement d’habitude c’est un processus, ça prend du temps. La viande du pangolin se trouve facilement dans les marchés. Et c’est vrai qu’au niveau de l’application de la loi, il faut qu’on puisse la renforcer, qu’il y’ait plus de contrôles, plus de saisies. Je pense que ces éléments-là font que la consommation continue à grandir.
A qui profite le trafic ?
Le trafic d’espèces sauvages est le deuxième, voire troisième trafic le plus lucratif au monde. Il profite aux réseaux de trafiquants qui font le trafic de viande ou d’écailles de pangolin. Je n’ai malheureusement pas de chiffres en tête. C’est un business qui rapporte beaucoup. Puisqu’aujourd’hui en Afrique centrale chaque année, c’est plus de 2,7 millions de pangolins qui sont prélevés dans la nature et ces pangolins vont finir soit dans les marmites, soit leurs écailles vont finir en Asie pour la médecine traditionnelle.
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Quelles sont les principales conclusions des études que vous avez récemment menées sur le pangolin qui intègrent la zone Afrique Centrale ?
On a eu au final, beaucoup de populations qui nous disaient adorer la viande du pangolin, qui en avaient consommé plus d’une fois. Paradoxalement, ces mêmes personnes étaient fières d’avoir le pangolin dans leur pays, d’avoir une biodiversité riche. Ce sont des données intéressantes, parce qu’au final, même s’ils consomment de la viande de pangolin par habitude parce que c’est ancré dans la culture, il y’a quand même cette fierté d’avoir un patrimoine naturel riche. On était à 92% de personnes fières d’avoir une biodiversité riche. Il y’a donc moyen d’inverser les choses et de miser sur leur fierté du patrimoine naturel pour les faire changer d’avis sur la consommation de viande de pangolin.
Wildaid a lancé une campagne qui dénonce la consommation de la viande du Pangolin. Comment vous êtes-vous déployés et qu’est ce qui a motivé cette mise en œuvre ?
La campagne a été lancée en février 2022 à Yaoundé. L’idée était de pouvoir parler de cette espèce. C’est l’animal le plus braconné au monde. Des études ont également montré en Afrique centrale que le Cameroun est l’un des plus grands consommateurs de viande de pangolin derrière le Nigéria, le Gabon. De ce fait, il y’avait un besoin de communiquer dessus, parce que lorsque nous sommes allés vers les camerounais, ils ne savaient rien sur le pangolin à part que c’était une bonne viande. Son rôle écologique, l’impact au niveau culturel ou sanitaire, ce sont des choses qu’ils ne connaissaient pas non plus. Au Gabon également, on a communiqué sur ce qu’est le pangolin, son rôle, pourquoi il existe, pourquoi il faut le garder en vie. Ce sont ces motivations qui nous ont poussés à faire une campagne sur le pangolin.
A propos de la campagne, vous avez impliqué des personnalités comme des chefs traditionnels et des sportifs de renom. Pourquoi ?
On pense que les populations, pour qu’elles puissent écouter des massages, ont besoin de s’identifier à des personnes. Lorsqu’une Ong va venir parler à des populations, la première image qu’on aura, c’est qu’on a une organisation étrangère qui vient pour communiquer ses idées. C’est malheureusement l’image que les Ong ont un peu partout aujourd’hui. Nous nous sommes dit qu’il était préférable de passer par des personnalités publiques locales, qui sont appréciées des populations. Un des éléments importants c’est d’avoir des ambassadeurs qui sont sensibles à la cause, qui comprennent pourquoi il faut soutenir cette cause. Tous nos ambassadeurs aujourd’hui sont bénévoles. Ils ont accepté de suivre ce combat parce qu’ils ont compris qu’il y’avait une importance à préserver ce patrimoine naturel du Cameroun, du Gabon et tous les pays où nous intervenons.
Quelles pourraient être les conséquences de la disparition de cette espèce ?
On ne peut pas prévoir l’avenir malheureusement. Toutefois, on sait pour le pangolin, que c’est un animal qui a pour rôle de réguler les populations de termites et fourmis. C’est-à-dire que grâce au pangolin, on arrive à maintenir des populations de termites et fourmis stables. Il faut savoir que le pangolin mange 200 000 fourmis et termites par jour. Donc c’est 70 millions de fourmis et termites par an. Sachant que les termites sont des insectes ravageurs, ils peuvent détruire des forêts. Si on perd ces pangolins, on risque d’avoir une surpopulation de fourmis et termites, des dégâts qu’on ne pourra pas forcément maîtriser. Par ricochet, un impact sur l’homme, puisque les fourmis et termites s’attaquent aux plantations, aux forêts. Les plantations qui nourrissent les populations. Il faut avoir une vision un peu plus large du lien entre les hommes et les animaux. Le pangolin a un rôle écologique qui permet aux humains de bien vivre. On a besoin de ces animaux pour nous-mêmes.
Comment freiner le trafic ?
Je pense qu’il y a deux éléments : le premier c’est la loi qui doit être renforcée. A titre de comparaison, en Ouganda, la peine encourue pour le braconnage c’est la prison à vie. C’est un message fort. L’amende attribuée est également très élevée. Que les populations comprennent que cette loi est forte, qu’elle est effective et vraiment appliquée. L’autre élément c’est la sensibilisation. Il faut informer, sensibiliser les populations afin qu’elles comprennent quel est son rôle écologique, les risques qui existent. Une fois qu’elles seront informées, elles pourront à leur niveau se remettre en question et décider si oui ou non elles arrêtent de consommer la viande de pangolin.
Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo et Philomène Djussi