Huit mois après leffondrement d’un bâtiment au quartier Akwa qui avait entrainé la mort d’une femme enceinte et de sa fille de 4 ans, l’autre pan de limmeuble R+6, qui devait être rasé, tient encore debout.  

Les habitants de la rue Mermoz, au quartier Akwa à Douala, vivent avec la peur dans le ventre. Ils ont du mal à dormir avec les deux yeux fermés, une fois la nuit tombée. Ils craignent de se réveiller sous les décombres d’un immeuble. Un bâtiment R+6 qui se dresse près des bureaux et habitations dans cette rue de la capitale économique présente des signes de fébrilité. Des fissures se dessinent sur des murs de la bâtisse. Une grosse ouverture est visible sur l’une des façades, au 3ème niveau. Des tuyaux et des fils de fer se sont détachés du reste de la structure de bêton et pendent dans le vide par endroits. La charpente en bois qui soutient le toit ne repose qu’en partie sur des murs de parpaings. Au pied de limmeuble, sur la façade arrière, des tas de gravas jonchent le sol. Le risque d’un effondrement n’est pas bien loin.  

Quatre véhicules sont garés devant le bâtiment à risque, ce mercredi. Sur la façade principale, il y a des inscriptions gravées avec de la craie de couleur blanche. On peut y lire « Immeuble de la mort », « A démolir », « Danger-Attention-3 morts ». Ces inscriptions qui s’apparentent visiblement à des messages de mise en garde ont été marquées par un riverain à la suite de l’effondrement le 17 juillet 2013, d’un pan de cet immeuble situé à la rue Mermoz.

Ce jour-là, Carole, une femme enceinte âgée de 28 ans, et sa fille âgée de 4 ans ont été ensevelies dans les décombres du bâtiment. Les victimes occupaient une pièce au premier étage et étaient endormies au moment du drame, vers 4 heures. Junior Divine Ndjomdjo, le conjoint de Carole, travaille comme disc joker dans une discothèque de la place. Il n’était pas à la maison au moment du drame. Il s’est évanoui lorsqu’il a appris la terrible nouvelle.

Les habitants ont peur

ImageIl a fallu six heures de fouille aux sapeurs-pompiers pour localiser les deux dépouilles. Deux habitants coincés dans l’autre pan de limmeuble encore debout ont été extirpés par les secouristes, perchés sur des échelles. Ils ont été conduits dans un centre de santé. Le préfet du département du Wouri, Paul Naseri Bea, descendu sur le terrain après l’incident, a déclaré que «Le bâtiment R+6 ne respectait pas les normes en matière de construction. Nous avons donné des instructions pour que ce bâtiment soit entièrement rasé». Le préfet a aussi promis des sanctions contre le promoteur et l’entrepreneur de cet immeuble. Il a aussitôt mis sur pied une commission d’enquête, présidée par le sous-préfet de Douala 1er, Jean-Marc Ekoa Mbarga. Ladite commission disposait de deux semaines pour rendre sa copie.  

Huit mois après le drame et la promesse de l’autorité administrative de raser l’autre pan du bâtiment encore debout, il n’en est rien. « Limmeuble de la mort » trône toujours à la rue Mermoz à Akwa. Les habitants ont peur. « Nous sommes en insécurité. Si ça doit tomber, ça va seulement nous écraser. Un immeuble tue des gens et on ne le détruit pas. C’est vraiment dommage », déplore Joseph Momo, un petit commerçant établis non loin de limmeuble. Une autre commerçante tient une papeterie au rez-de-chaussée de la résidence Essame, qui jouxte « limmeuble de la mort ». « Nous avons un sentiment de frayeur. On a peur de se retrouver sous des décombres à tout moment. Le gouvernement avait dit que limmeuble devait être rasé. On attend toujours que cela soit fait », relève t-elle.      

Les activités de la résidence Essamè tournent au ralenti depuis le sinistre. Pour cause, Les potentiels clients qui s’y emmènent ont peur. « Les clients rebroussent chemin lorsqu’ils voient le bâtiment qui se dresse juste à côté. On a perdu beaucoup de clients», se plaint le concierge. Lors de l’effondrement du premier pan de limmeuble le 17 juillet 2013, un des murs de la résidence avait été détruit en partie. « A la suite de ce sinistre, il y a quatre clients, des expatriés en séjour au Cameroun, qui ont quitté la résidence. Ils ont exigé des remboursements. Ils ont reçu chacun la somme de 1 500 000 F. Cfa », poursuit le concierge. Il relève qu’un mois après le drame, une équipe des forces de l’ordre et des sapeurs-pompiers est descendue sur les lieux. Ils ont fait une inspection et ils sont repartis, sans rien dire.     

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Déguerpissements, vols

Agnès Edibe a choisi de déguerpir les lieux. Les bureaux du délégué d’arrondissement de la Promotion de la femme et de la famille de Douala 1er côtoyaient limmeuble écroulé. La responsable administrative avait, quatre ans avant le drame, écrit à la Communauté urbaine de Douala (Cud) pour signaler qu’elle se sentait en insécurité près de la bâtisse qui n’affichait pas fière allure. Une équipe d’inspection était descendue sur le terrain à l’époque. Rien de plus. Agnès Edibé a vidé les bureaux et a trouvé un autre local ailleurs, loin de la rue Mermoz. Eyoum Bebey a aussi quitté le voisinage de « limmeuble de la mort ». Elle qui avait déjà failli y rester la dernière fois. Sa maison construite en matériaux provisoire a été détruite en partie par les gravats. La dame s’en est tirée saine et sauve. Elle vit actuellement chez des proches.

« Ma Moni », une autre riveraine, a aussi plié bagages. Son domicile a été complètement rasé lors de l’effondrement. Mais il y a des habitants qui rechignent à quitter les lieux. C’est le cas de Daniel Assa. Le quinquagénaire tient un atelier de couture non loin de limmeuble de la mort. « On nous avait recensé. Mais depuis personne n’est plus revenu nous voir. Je n’ai pas un autre endroit où je peux aller m’établir. C’est vrai que je ne suis pas dans le confort ici. Quand il pleut, je suis arrosé. L’autre pan du bâtiment qui tient encore debout est éloigné », indique le couturier. L’atelier de couture est en fait situé à une dizaine de mètres à peine de « limmeuble de la mort ». Lors de l’effondrement du premier pan du bâtiment, un des murs de l’atelier avait d’ailleurs été soufflé par les gravats.

Lorsque nous nous dirigeons vers le bâtiment vide qui abritait la délégation d’arrondissement de la Promotion de la femme et de la famille de Douala 1er, un vieil homme nous interpelle. « Monsieur vous allez où ? Vous ne voyez pas qu’il n’y a personne là bas. C’est comment ? », dit t-il, d’un ton menaçant. Monsieur Priso est visiblement sur les nerfs. Il nous expliquera plus tard, que des cas de cambriolages ont été enregistrés dans le coin, après le départ de certains habitants. Priso indique qu’il y a un mois, des bandits ont démonté les fenêtres, emporté le bidet des toilettes et scié le grand portail en acier de la délégation d’arrondissement de la Promotion de la femme et de la famille de Douala 1er. Dans un autre bureau établi tout près, les voleurs ont emporté des climatiseurs. Chez le notaire qui n’a pas plié bagages, les malfrats ont emporté plusieurs ordinateurs. A chaque fois, les voleurs ont créé une ouverture sur le mur arrière, par lequel ils se sont infiltrés dans les bâtiments. La police et la gendarmerie sont descendues sur les lieux pour effectuer le constat. Un vigile a été embauché après ces coups de vols, a-t-on appris.   

La commission piétine

ImageMais où en est la commission d’enquête mise sur pied après l’effondrement du premier pan de limmeuble le 17 juillet 2013 ? Un membre de la commission a indiqué que la Cud devait reverser des frais demandés par le Labogénie pour effectuer les travaux de relevée du sol. «La Cud a dit avoir reversé ces frais, depuis 2013. La Cud joue un rôle déterminant dans ce dossier. Le propriétaire estime que limmeuble a été construit en deux temps. Il dit que les malformations n’ont été enregistrées que sur le premier pan qui s’est écroulé. Les procédures administratives lancées ne peuvent être stoppées que par une procédure judiciaire», explique notre source.

Jean-Marc Ekoa Mbarga, le sous préfet de l’arrondissement de Douala 1er avoue n’avoir pas eu connaissance du rapport du Labogénie. Dans le cadre du travail en commission, le sous préfet a fait quelques propositions. Il a notamment demandé que l’autre pan du bâtiment encore debout soit rasé, ou du moins les niveaux qui sont mal faits, ou qui semblent avoir été ajoutés. Les bureaux du « chef de terre » inondent de correspondances envoyées par les habitants résidant près de « limmeuble de la mort ». Ils y dénoncent la situation d’insécurité dans laquelle ils vivent. Mais rien n’y fait, le bâtiment est toujours debout, sept mois après le drame.

Le reporter a appris que le préfet du département du Wouri, Paul Naseri Bea, à l’époque, avait contacté le Génie militaire pour prendre connaissance des différents procédés de destruction du bâtiment. Il y a quelques jours encore, le préfet aurait recontacté le Génie militaire et a annoncé l’imminence de la destruction de « limmeuble de la mort ». En attendant l’effectivité de la nouvelle mesure préfectorale, le bâtiment R+6 qui « trône » à la rue Mermoz au quartier Akwa, continue de raviver la peur des riverains.  

Mathias Mouendé Ngamo

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