Les entreprises sont menacées de fermeture à cause de la concurrence déloyale des Nigérians qui exportent ces déchets industriels, en marge de la réglementation.  

Plus rien ne va dans le secteur du recyclage des batteries usagées au Cameroun. Metafrique Cameroun, Bocom Recycling et Ganesha Sarl, les seules entreprises exerçant dans le domaine sont sous la menace d’une fermeture prochaine, si rien n’est fait. Pour cause, la matière première exportée à l’étranger de manière frauduleuse par des expatriés nigérians se fait de plus en plus rare. Les opérateurs économiques qui craignent le pire relèvent que cette situation prévaut depuis plusieurs années déjà. Mais le phénomène a pris de l’ampleur ces trois derniers mois et a atteint une phase critique. « Toutes les trois entreprises qui font dans le recyclage des batteries sont basées à Douala. Mais nous ne parvenons plus à recevoir des batteries usagées en provenance d’autres villes du pays. A notre passage, les populations nous signalent que les Nigérians ont déjà tout acheté», déplore Ashok Sharma, le directeur général de Ganesha Sarl. La plus jeune des trois entreprises du secteur est basée à Bonabéri, un quartier périphérique de la ville de Douala, capitale économique.

Le manque à gagner est énorme. Sur près de 1000 tonnes de batteries dont ont besoin les trois entreprises par mois pour leur fonctionnement optimal, elles ne parviennent, au meilleur des cas, qu’à rassembler 300 tonnes dans leur magasin de stockage, a –t-on appris. Soit une perte de matière première évaluée à environ 70%.

Godvind Prasad, le directeur des achats de la société Metafrique Cameroun estime à environ 1000 tonnes la quantité de batteries qui traverse illégalement les frontières camerounaises tous les mois, en direction du Nigeria. Comme première grande répercussion, les machines sont momentanément à l’arrêt dans ces sociétés qui génèrent près 900 emplois directs et des dizaines d’emplois indirects au pays.

Mode opératoire

Mais comment ces expatriés nigérians procèdent –t-ils pour plomber autant le secteur? Le reporter a appris auprès des opérateurs de la filière que les trafiquants se postent souvent à quelques encablures des points de stockage des collecteurs camerounais. Là, ils interceptent tous les habitants qui se pointent pour brader des déchets industriels. Ils les rachètent au prix fort. Ainsi, les collecteurs locaux ne reçoivent plus assez de matières pour approvisionner les entreprises camerounaises.

Un collecteur basé à Yaoundé, le dernier à tenir bon dans la chaine malgré la conjoncture, explique qu’autrefois il était en mesure de rassembler 200 batteries usagées par jour et 6 tonnes de cuivre. «En quatre jours, je n’ai pu trouver que 5 batteries. C’est la même situation avec le cuivre. Les entreprises m’appellent pour demander de la matière première, mais je suis dans l’incapacité d’effectuer des livraisons», déplore le collecteur lancé dans cette activité depuis 2007.
Notre homme, visiblement très affecté par ce trafic, semble en savoir plus sur ce réseau bien huilé. Il indique qu’après achat des batteries, les Nigérians les stockent dans de grands magasins, à l’abri des regards. La cargaison est chargée dans des camions et prennent la route pour Manfé dans la région du Sud-ouest et Bamenda dans la région du Nord-ouest. Ces deux régions constituent les portes de sortie de la marchandise en direction du pays voisin, le Nigeria pour transformation.

« Ils chargent les véhicules les vendredis, samedis et dimanches  matin. Ils prennent la route le dimanche dans la nuit », relève –t-il.

Les embarcations se font aussi sur les côtes, dans de petites pirogues à moteur à Limbé, dans le Sud-ouest, apprend-on. Les acteurs de la filière dénoncent la complicité des agents des Douanes et des éléments des forces du maintien de l’ordre chargé de  la surveillance et des contrôles.

Exportation interdite

Selon la réglementation du ministère des Mines, de l’Industrie et du développement technologique (Mimidt), les métaux ferreux et non ferreux sont interdits à l’exportation depuis 2007. Des cargaisons de ces métaux destinées à l’étranger avaient plusieurs fois fait l’objet de saisies régulières il y a quelques années encore.

« Le Cameroun transforme déjà ces métaux localement. Cela contribue à résorber le problème du chômage avec des emplois qui sont créés. Ensuite, il y a des ressources qui sont générées pour le Trésor public. Autant d’avantages pour l’Etat »,

a expliqué le délégué régional du Minimidt pour le Littoral, Jean-Marie Dimbélé, lors de la saisie d’une cargaison de 20 tonnes de métaux le 12 décembre 2012 à Douala.

Recyclage des batteries en péril

Les responsables des entreprises spécialisées dans le recyclage des batteries au Cameroun disent avoir épuisé plusieurs voies pour dénoncer la recrudescence de ce trafic de métaux ferreux et non ferreux vers l’étranger. Ils espèrent que le gouvernement prendra des mesures adéquates pour ramener la « santé » et la sérénité dans ce secteur d’activité qui agonise. « Il faut aussi que les gouverneurs des régions du Sud-ouest et du Nord-ouest prennent des dispositions pour que leurs régions ne servent pas de porte de sortie à ce matériel », propose Fidèle Nguela, directeur général de Bocom Recycling.
Mathias Mouendé Ngamo
 

Ashok Sharma
Ashok Sharma, Dg de Ganesha Sarl. Photo Mathias Mouendé

“Des employés bientôt au chômage”
Le directeur général de Ganesha Sarl parle des préjudices causés par l’exportation clandestine des batteries usagées.
Quel est l’état des lieux dans le secteur du recyclage des batteries usagées au Cameroun ?
Avant, chacune des trois entreprises du secteur au Cameroun pouvait collecter plus de 300 tonnes de batteries par mois, et les transformer. Aujourd’hui, il est difficile pour chacune des sociétés de collecter 100 tonnes par mois. Cette situation s’est aggravée ces trois derniers mois. Les batteries et le cuivre en provenance des villes de Bamenda, Bafoussam et Yaoundé n’arrivent plus à Douala, où sont basées les trois seules entreprises de recyclage de ces matières. Même dans les localités proches de la ville de Douala, on ne trouve plus les batteries usagées. A notre passage, les populations nous disent que les batteries ont déjà été vendues aux Nigérians qui font de la concurrence déloyale. Ils exportent ces batteries usagées hors de nos frontières, en toute violation de la loi.
Comment s’opère ce commerce clandestin ?
Nous savons que ces Nigérians passent par le Sud-ouest et par Bamenda pour sortir du pays. Nous ne jouons pas les gendarmes derrière eux pour savoir comment ils sont organisés. Nous n’avons pas l’autorité pour les suivre et savoir comment ils procèdent, ni les méthodes qu’ils emploient. Nous ne sommes ni les Douanes, ni les éléments des forces de l’ordre. On sait juste qu’ils ont des batteries stockées dans leurs magasins. On ne sait comment ils les transportent. Mais on constate juste après que les magasins sont vides. Et le cycle recommence.
Quel est le préjudice financier pour les entreprises ?
Les entreprises locales manquent de matières premières. Nous nous sommes installés ici parce qu’il y avait de la matière première et le cadre réglementaire nous donnait de l’assurance. Nous sommes une jeune entreprise dans le secteur. Nous avions un programme d’entreprise, mais il est voué à l’échec. Nos projets pour le Cameroun sont en train de se noyer dans l’eau, car nos machines ne peuvent pas fonctionner sans matières premières. Si la situation persiste ainsi, les Camerounais qui assurent la main d’œuvre se retrouveront au chômage. Nous sommes en difficulté depuis trois mois. Nous espérons que les choses vont changer. Les quelques batteries usagées que nous récupérons actuellement sont très loin des chiffres escomptés.
Quelles sont les actions que vous entreprenez pour stopper ce trafic ?
Nous discutons avec les collecteurs. Nous allons nous organiser avec eux pour que ce phénomène s’arrête. N’oublions pas que ce trafic se fait en marge de la loi. Donc je pense qu’il est aussi important de mettre un accent sur la réglementation en vigueur au Cameroun qui interdit l’exportation des déchets industriels comme les batteries usagées. Nous espérons que le gouvernement nous viendra en aide.
Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo
 

Godvind Prasad

Godvind Prasad, directeur des achats de Metafrique. Photo Mathias Mouendé« 1000t de batteries perdues par mois »
Le directeur des achats de Metafrique Cameroun parle du manque à gagner dû au trafic frauduleux.
Quelle estimation faites-vous du volume des déchets industriels exportés vers l’étranger ?
Il faut tout d’abord relever que pour notre seule société Metafrique, nous avons besoin de plus de 500 tonnes de batteries par mois et 100 tonnes de cuivre. Mais nous ne pouvons obtenir ces quantités-là à cause de l’exportation frauduleuse de ces déchets industriels ferreux et non ferreux. Il y a aussi un dérivé de la ferraille, la fronde, qui traverse aussi les frontières régulièrement. Ce phénomène dure depuis longtemps. Mais cette année, le phénomène a pris de l’ampleur. C’est grave. Environ 1000 tonnes de batteries traversent chaque mois nos frontières, en direction  de l’étranger.
Quel est le poids économique des sociétés de transformation de batteries usagées au Cameroun ?
Il n’y a que trois compagnies qui opèrent dans le secteur de recyclage de batteries usagers, de cuivre et d’aluminium au Cameroun. Ces entreprises sont toutes basées à Douala. Les plombs des batteries sont transformés en lingots et exportés, car aucune entreprise locale ne les sollicite. Par contre, les coques des batteries sont transformées sur place et servent à la fabrication des chaises, des seaux, des tuyaux et autres objets en plastique vendus sur le marché local. On transforme aussi ces coques en granulés. Ce produit est racheté par d’autres entreprises locales pour transformation. Nos entreprises participent aussi à la lutte contre le chômage en employant une main d’œuvre camerounaise abondante. A Metafrique, près de 700 personnes travaillent dans les quatre sections de recyclage, dont les usines de batterie, cuivre, ferraille et aluminium. Avec la concurrence déloyale imposée par les Nigérians, l’Etat aura aussi un manque à gagner au niveau des taxes prélevées.
Que proposez-vous comme initiatives pour résorber cette situation de crise?      
Le gouverneur de la région du Littoral et le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Douala connaissent ce problème. Nous avons évoqués cette situation plusieurs fois, lors des réunions dans les services du gouverneur. Nous avons écris au chef secteur Douanes du Sud-ouest et aux chefs secteur d’autres régions. Mais jusqu’ici, rien n’a changé. Il faut un contrôle strict aux frontières. Nos frontières sont poreuses. Et les deux principales frontières où transitent ces déchets industriels sont celles  du Sud-ouest et du Nord-ouest. Sur le plan national, il faut aussi que les opérateurs économiques spécialisés dans le secteur soient un peu libres. Nous subissons trop de tracasseries policières.
Propos recueillis par Mathias Mouendé Ngamo

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1 Comment

Vamadi apollion June 5, 2016 at 3:56 pm

GANESHA A CRÉÉ UN EMPLOI AU JEUNES QUI N’ONT PAS DE DÉBAUCHER UNE CHANCE D’UNE GRANDE RÉUSSITE POUR LES COURAGEUX.

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