Portrait. Agée de 40 ans et en l’absence de tout financement, cette autodidacte a fait de la préservation de l’environnement son combat quotidien. Qui est-elle ? Quel est son parcours ? Comment en est-elle arrivée là.
Un petit bureau subdivisé en deux compartiments situé au quartier Bali à Douala. Il s’étend sur à peine 2m2. La première pièce tient lieu d’accueil et de salle d’attente. Une table est rangée dans un coin. Un ordinateur et trois bouquets de fleur y sont disposés. Une secrétaire est occupée à entrer des données dans l’ordinateur. Assis sur le banc adossé contre le mur de séparation en contreplaqué, le visiteur peut contempler des tableaux accrochés en haut, sur le mur en face de lui. Ce sont différents prix, tableaux de reconnaissance, certificats et attestations. On y retrouve notamment le prix « Révélation 2006 pour la protection de l’environnement ».
La deuxième pièce du bureau est un peu plus exigüe. Elle tient lieu de direction. On y retrouve une photocopieuse, une unité centrale et de la paperasse. Un petit ventilateur accroché au dessus des têtes diffuse un peu de fraicheur dans la salle. La maitresse des lieux est à son poste ce lundi après-midi. Elle pianote sur les touches de son ordinateur portable. Le sourire affiché sur les lèvres de Blandine Olive Tchamou cache mal les petits traits de fatigue qui se dessinent sur le visage. La coordinatrice de l’association « Mieux-Etre » a passé une semaine d’activités intenses. Durant les sept derniers jours, elle a participé à un séminaire organisé à Douala par l’Ong française « Les ateliers de Cergy ». Les travaux s’articulaient autour d’une problématique liée à l’environnement en milieu urbain. Blandine Olive Tchamou était la seule camerounaise résidante au pays présente au séminaire, au milieu d’architectes, chercheurs et urbanistes venus de onze pays à travers le monde.
L’horloge affiche 15h30 minutes. Et déjà Blandine Olive Tchamou ne se souvient plus avec exactitude des tâches qu’elle a accomplies tout au long de la journée. « C’est souvent lorsque je fais les comptes chaque soir que je me rappelle de ce que j’ai fais en journée», explique t-elle. Son téléphone crépite. L’interlocuteur à l’autre bout du fil veut obtenir confirmation du rendez-vous prévu pour le lendemain. Le programme de mardi est déjà assez chargé. Il y a des périodes comme ça, où l’environnementaliste n’a pas une minute de répit. Tous les matins elle quitte son domicile au quartier Koumassi pour rejoindre son bureau, ou son « kiosque » comme elle le désigne affectueusement, situé à une centaine de mètres. Elle effectue souvent le trajet à pied. Les heures de retour à la maison varient selon les journées. « Avant, il m’arrivait souvent de dormir au bureau, surtout lorsque je préparais le concours Ecole Net Ozone° », se souvient t-elle.
Un journaliste camerounais s’est intéressé de près à la vie de Blandine Olive Tchamou, il y a quelques années. Le confrère a fait quelques observations concernant le combat de cette femme célibataire pour la sauvegarde de l’environnement. Il avait titré à l’époque : « Mariée à l’environnement». Blandine Olive Tchamou n’a pas apprécié le titre de cette publication. Mais avec du recul aujourd’hui, elle dit mieux comprendre le choix du reporter. Et si Blandine Olive Tchamou est « mariée » à l’environnement, alors, son premier « bébé » c’est « Mieux-Etre ». L’association qu’elle a créée en 2004 a pour objectif l’éducation environnementale qui comprend la bonne information, la sensibilisation, l’éducation, l’accompagnement, le suivi, l’évaluation et la sanction. « C’est tout cela qui peut amener à un changement positif de comportement», soutient l’environnementaliste.
Elève rebelle
Mais comment Blandine Olive Tchamou en est t-elle arrivée là ? Elle qui n’a pas suivi un cursus scolaire spécialisé sur la question environnementale. En effet, rien ne prédisposait la petite Blandine (Elle préfère ce prénom à Olive, ndlr) à faire carrière dans le domaine. Elle vient au monde le 8 mai 1973, à Bépanda-Omnisport, un des quartiers populaires de la ville situé dans l’arrondissement de Douala 5ème. L’insalubrité y règne en maitre.
« Je n’ai pas connu de poubelle jusqu’à l’âge de 11 ans. J’ai grandi dans un ravin à Bépanda. On jetait les ordures directement dans la rigole »,
se rappelle Blandine Olive Tchamou, ainée d’une famille de sept enfants, constituée de cinq garçons et deux filles. Le père, comptable à la Bicec, démissionne de son poste et se lance dans le commerce. La mère, ménagère, n’hésite pas à suivre les pas de son mari. Les revenus de la famille sont modestes.
Inscrite à l’école publique de Bépanda, Blandine décroche le Certificat d’étude primaire du premier cycle (Cepe). Elle brave le concours d’entrée en 6ème au Lycée Joss à Akwa, avec une bourse à la clé. Elle obtient une moyenne de 6/20 à la première année du lycée et est radiée de l’établissement scolaire. « J’habitais très loin et j’arrivais en retard presque tous les jours. Il n’y avait personne à la maison qui consacrait du temps à ma scolarité», justifie t-elle. L’année d’après, Blandine Olive Tchamou pose ses valises chez une tante, au quartier Bali. Elle s’inscrit au collège King Akwa, pas très loin de la maison. Les performances scolaires ne s’améliorent pas pour autant. L’élève fait un véritable tourisme scolaire. Elle va au lycée d’Oyack pour suivre les cours en classe de 5ème. Elle soupçonne un des ses enseignants d’avoir entretenu des rapports sexuels avec une camarade, le jour de son anniversaire. Blandine Olive Tchamou se vexe et insulte l’enseignant en question, en classe. Elle écope d’un renvoi.
Le collège Integ accueille « l’élève rebelle » en classe de 4ème et 3ème. Elle y décroche le Brevet d’étude du premier cycle (Bepc). Une histoire d’amour tourne mal avec un copain. Blandine Olive Tchamou quitte la ville de Douala, et court se « réfugier » à Bafoussam, à l’Ouest du pays. Elle est recalée au Baccalauréat G1. L’année suivante, elle repasse l’examen au lycée technique de Douala-Koumassi, sans succès. « Certaines matières scientifiques me menaçaient beaucoup. La Sténo était ma bête noire depuis la classe de Seconde. Il m’arrivait souvent de ne même pas remettre ma feuille de Sténo au professeur», reconnait t-elle.
Prise de conscience
L’aventure scolaire s’arrête là. Il faut s’occuper de ses petits frères. Blandine Olive Tchamou trouve un job dans les assurances. Mais la maman veut voir sa fille sur ses traces, dans le business. Blandine Olive Tchamou ne promet rien à sa génitrice. Mais elle aime bien voyager et rencontrer des gens. En 1997, elle accompagne maman faire des achats au Nigéria. La marchandise est rare et l’apprentie « business woman » est obligée de passer six semaines au Nigéria. Elle en profite pour explorer la ville d’Onisha, où elles se sont établies.
« En marchant dans les rues, j’ai remarqué que je ne piétinais pas des épluchures de banane dans les marchés. Il n’y avait pas de souris mortes. Je me suis rapprochée des dirigeants du marché pour savoir comment ils s’y prennent pour maintenir le coin propre»,
se souvient t-elle. Blandine Olive Tchamou apprendra qu’en l’absence d’une action étatique, des règles sur la gestion des déchets ont été adoptées par les commerçants eux-mêmes, et imposables à tous.
En 1998, Blandine Olive Tchamou effectue deux voyages en Suisse. Elle y passe six mois lors du deuxième séjour. Elle est frappée par la propreté des lieux. Le tri des déchets est déjà encré dans les habitudes. C’est un petit garçon de 7 ans qui l’indique le bac à ordure dans lequel elle doit jeter la boite de yaourt vide qu’elle tient en main. Notre exploratrice décide d’aller voir la réalité dans un quartier habité par les Camerounais à Zurich. Elle rencontre des ordures un peu partout. Une cage d’escalier d’un circuit empeste l’urine. « J’ai eu honte », reconnait Blandine.
En 1999, elle adresse une correspondance au premier ministère camerounais. Elle y propose la mise en place d’un programme de gestion des ordures. Puis elle se rapproche en 2001 de la Communauté urbaine de Douala (Cud) et propose de participer aux recherches. La Cud l’intègre dans ses activités un an plus tard. Blandine ne trouve pas d’association adéquate avec laquelle elle peut mener son combat. «Il y avait juste des associations de quartier, des tontines. J’ai donc été obligée de créer Mieux-être. Ca n’a pas été facile», relève l’autodidacte.
Parcours Vita
https://www.youtube.com/watch?v=YQr6jPbl538
Mieux-Etre voit donc le jour en 2004. En 2005, l’environnementaliste se lance dans des recherches. Elle participe à plusieurs ateliers de formation, des séminaires et projets. Elle se forge un background important. L’expertise de Blandine Olive Tchamou est aujourd’hui sollicitée dans différents secteurs. Elle initie le concours école Net ozone°, pour impulser la culture du reflexe de la propreté dans les établissements scolaires. L’association accompagne en outre les écoles dans le processus de labellisation de salubrité Net ozone (Palno°).
Mieux-être travaille aussi avec un hôtel huppé de la capitale économique en vue de sa labellisation au Green Basic, basé sur la performance du personnel. D’après la coordinatrice de Mieux-Etre, depuis 2008, l’association a participé à l’étude d’impact et l’audit environnemental de près de 70 entreprises. Blandine Olive Tchamou a été sollicitée pour l’étude d’impact environnemental en vue de la construction du 2ème pont sur le Wouri, notamment. En 2009, elle écrit un ouvrage de 66 pages intitulé «130 gestes pour notre environnement au quotidien».
L’environnementaliste a embrassé la sensibilisation et le combat pour la protection de l’environnement, malgré l’absence de financement et de subvention étatique. Parmi ses grandes batailles, il y a le plaidoyer pour la réhabilitation du parcours Vita, un espace de détente et de loisirs situé au quartier Bonamoussadi à Douala, alors en décrépitude à l’époque. Elle écrit à la présidence de la République. Elle participe à des émissions magazines à la Cameroon Radio and Television (CRTV), à Equinoxe Tv, à Canal2 international. Elle fait entendre ses préoccupations dans une interview accordée au quotidien Le Jour. Blandine Olive Tchamou remporte son challenge. La rénovation du parcours Vita intervient en 2011. « Je suis très contente. Des gens construisaient sur les pistes de course. C’est un pas qui a été fait. Le verre n’est pas encore plein. Mais il y a de l’eau dedans », se réjouit t-elle.
Aujourd’hui, l’environnementaliste fait vivre l’association avec quatre autres personnes bénévoles. Elle encadre des jeunes qui viennent dans son association se former dans le domaine de l’environnement. Et Blandine Olive Tchamou le fait à cœur joie, car son rêve, confie t-elle, est d’amener les citoyens camerounais à devenir des éco-citoyens. Dans les moments difficiles, l’environnementaliste aime à regarder des histoires drôles ou des dessins animés à la télévision. Sa fille Leslie, âgée de 17 ans aujourd’hui, vit en Europe avec son père.
Mathias Mouendé Ngamo