A Buéa, les personnes déplacées internes et des populations locales bénéficient chaque mois d’une distribution de bons de vivres pour lutter contre la faim.
« On a brûlé nos maisons et tué nos frères à Wum à Bamenda. Nous avons fui pour venir ici». Camela Ewi, qui raconte cet épisode triste de la crise anglophone qu’elle a vécu dans la région du Nord-ouest, n’est pas à l’aise pour rentrer dans les détails. Il n’y a qu’à voir les traits de son visage se resserrer lorsqu’elle évoque le sujet. Aujourd’hui, cette jeune dame âgée de 24 ans a trouvé refuge chez l’ami d’un oncle au quartier Bomaka à Buea, dans la région du Sud-ouest. Elle s’y est rendue en janvier 2018 avec son mari et ses trois enfants âgés de 2, 4 et 6 ans.
«On entend quelques fois le bruit des tirs ici, mais c’est mieux qu’à Bamenda»,
fait savoir Camela.
Quand la famille s’installe à Buea, elle a de la difficulté à joindre les deux bouts. Le logement qui les accueille est loin d’être catalogué de décent. Il faut étaler les matelas à même le sol pour dormir. Quand il pleut, il faut garder l’œil ouvert, par crainte des inondations. Hélas, Camela et les siens n’ont pas d’autres choix. Ils ne possèdent pas d’argent. Les enfants ne vont pas à l’école. L’équation la plus difficile à résoudre est surtout celle de la ration alimentaire. Au début, Camela se propose de travailler dans les champs des voisins. En retour, elle reçoit quelques tubercules de manioc pour nourrir ses petits.
Bons alimentaires
En octobre 2019, l’Ong International Rescue Committee (IRC) lance un programme de distribution alimentaire dans le Sud-ouest. Camela y souscrit. La jeune dame remplit les critères. Elle est ainsi retenue parmi les bénéficiaires. Nous l’a retrouvons ce matin du vendredi 15 novembre 2019 assise sous une tente dressée à Bomaka au milieu d’autres personnes déplacées internes, lors de la deuxième opération de l’Ong IRC. Elle tient son nouveau bébé de 7 mois entre les mains. Le petit est bien accroché au sein de sa mère. Camela Ewi attend aux côtés d’une centaine d’autres personnes. Les rayons de soleil qui commencent à gagner en intensité ne découragent pas la foule.
Ici, il y a un ordre à suivre. Chacun des bénéficiaires tient un coupon avec un numéro de passage. A l’appel du numéro, le bénéficiaire se dirige vers une salle. Il ne reçoit pas de l’argent, mais trois bons qui lui permettront d’aller se ravitailler en vivres dans une boutique à Mile 17.
«On a remarqué dans certaines opérations humanitaires que lorsqu’on remettait de l’argent, le père de famille s’en accaparait et le gaspillait dans les alcools ou autres choses. Cet argent servait donc à tout, sauf à nourrir les populations qu’on veut pourtant aider», glisse un responsable du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA). Avec IRC, première Ong à distribuer des bons alimentaires, les rubriques desdits bons proposent des aliments tels le riz, des arachides, du poisson, de l’huile, du haricot, du koki, du piment, du cube, entres autres. Les trois bons cumulés ont une valeur de 62 000 F. Cfa.
«Ces vivres m’aident beaucoup pour nourrir mes six enfants. Mon mari est un transporteur. Il est donc rare qu’il soit à la maison. Je dois m’occuper toute seule des enfants. Nous mangeons de telle sorte que les vivres tiennent un mois, en attendant la prochaine distribution», indique Maria Tassi Eko.
Offrir un autre espoir
La maman de 50 ans qui tenait le coupon n° 27 a pu être servi après deux heures de patience. Elle se rend ensuite dans la boutique à Mile 17 et entre en possession de ses vivres. Le sourire se lit sur son visage. Elle confie que cet apport en aliments lui permet de tenir le coup pour faire face à la faim et l’adversité de la vie. Il lui est encore difficile de s’acquitter du loyer qui s’élève à 14 000 F. Cfa le mois. En date de novembre 2019, la quinquagénaire cumulait déjà 1 an et 6 mois d’arriérés impayés de loyer.
« Heureusement pour moi, le bailleur est compréhensif »,
se réjouit cette habitante de Mile 16 à Buea, qui vit avec ses six enfants.
L’opération de distribution de bons alimentaires mobilise près de 20 membres de l’Ong IRC à Buea. Janet Wirba, la Protection Manager, cordonne les activités. Elle n’a pas une minute de répit. Cette responsable indique que 243 familles sont bénéficiaires de cette opération qui se déroule chaque mois. La première du genre s’est tenue au mois d’octobre 2019. Les récipiendaires sont des personnes déplacées internes et des populations de la communauté d’accueil. Elles viennent de Mile 16, Muea, Ekona, Muyuka, Bomaka, Limbé, Bamenda, entre autres localités.
« Il y a des gens qui pensent qu’on enregistre par amitié. Non. Nous regardons prioritairement les personnes vulnérables, les femmes enceintes, les handicapés, les femmes qui allaitent et les personnes âgées de 60 ans et plus. Nous voulons les offrir un autre espoir. On les fait savoir qu’on veut prendre soins d’eux», explique Lyonga Kombe, un membre de l’équipe de distribution.
4,3 millions de personnes dans le besoin
International Rescue Committee a débuté ses activités au Cameroun en 2016 et a déjà servi plus de 400 000 personnes dans le besoin. Une action qui s’inscrit dans la cible de l’Objectif du développement durable 2 (Odd2) « Faim Zéro», qui voudrait « d’ici 2030, éliminer la faim et faire en sorte que chacun, en particulier les pauvres et les personnes en situation vulnérable, y compris les nourrissons, ait accès toute l’année à une alimentation saine, nutritive et suffisante».
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), 4,3 millions de personnes sont dans le besoin humanitaire au Cameroun. 299 millions sont requis en termes de financements. 66 millions financés, soit 22% de couverture. Des statistiques de septembre 2019. D’autres projets des Nations Unies implémentés dans les régions en crise au Cameroun permettent aux personnes déplacées internes de se refaire une nouvelle vie.
Mathias Mouendé Ngamo, à Buea
#Humanitaire