Depuis les démolitions des habitations le 06 juillet 2015, des sinistrés vivent toujours à la belle étoile et s’étonnent du non aménagement du drain pour lequel ils ont été délogés.
Des parpaings superposés les uns sur les autres servent de support à un lit en bois. En lieu et place du matelas, il y a du polystyrène recouvert de pagne. Un contreplaqué adapté sur les prolongements des extrémités du lit sert de toit. La moustiquaire est dressée. En ce mardi 14 juillet 2015, une jeune fille, la vingtaine, est allongée dans la couchette de fortune installée au milieu des décombres de maisons détruites au quartier Makèpè-Missokè, dans l’arrondissement de Douala 5ème au Cameroun.
Il est bientôt 14 h. Le climat est capricieux. De fines gouttes de pluie arrosent le sol. Aderance Lontsi a pris place sur une chaise près du lit. Elle a une main posée à la hanche, l’autre sur la joue. Son fils, âgé d’à peine 3 ans, s’est agrippé à son vêtement. « Maman je veux manger !», crie le petit garçon. La marmite de banane posée sur le sol attend toujours de rejoindre le foyer de bois improvisé sur les tas de détritus. Mais Aderance Lontsi ne semble pas avoir la tête à la cuisine. Elle est plutôt pensive et ne prête pas oreille attentive aux pleurs du gamin.
La petite famille de cinq personnes, dont trois enfants, dort à la belle étoile depuis les démolitions du 06 juillet 2015 par les engins de la Communauté urbaine de Douala (Cud). « Notre maison n’avait pas été marquée de croix de Saint André. Nous avons été surpris et n’avons même pas eu le temps de mettre nos meubles à l’abri. Nous allons aller où ? Depuis ce jour-là, nous passons nos nuits ici. Les tout-petits dorment chez des proches, à plusieurs lieux d’ici. Mais en journée, nous les voulons près de nous », indique Aderance Lontsi, la mère de famille qui a vécu pendant 20 ans en ces lieux. Elle parle du nouveau mode de vie à laquelle elle est soumise avec beaucoup d’émotions dans la voix. D’autres sinistrés de Makèpè-Missokè qui disent ne pas savoir où aller vivent le même calvaire. Ils se battent comme ils peuvent pour s’adapter aux « changements ». Le décor, le mode de vie des sinistrés font penser à un camp pour réfugiés.
Des abris de fortune
A une dizaine de mètres des Lontsi, des coups de marteau résonnent. Trois hommes fouillent dans un amas de bois pour rechercher ce qui peut encore être récupérer des murs de leurs domiciles rasés. Ils sélectionnent les lattes et planches usagées pour la construction d’une petite bâtisse non loin du site de l’ancienne maison, hors de la zone rouge ciblée par les autorités pendant les déguerpissements. Des feuilles de tôle froissées attendent dans un coin la phase de la pose du toit, à l’achèvement du chantier. Mais on en n’est pas encore là. Les murs s’élèvent petit à petit. Le sieur Moumbé qui fait partie des centaines de sinistrés expulsés des lieux sans dédommagement ni relogement, bénéficie de l’aide de quelques proches. « Mon frère m’a supplié de venir l’aider à construire rapidement quelque chose. Moi j’habite au quartier Kotto. Je n’ai pas hésité à lui apporter mon soutien », explique un proche du sieur Moumbé.
En attendant la fin des travaux, Moumbé s’est construit un petit hangar de fortune. Il y passe ses nuits depuis une semaine déjà. Le petit abri n’a pas nécessité de grands matériaux pour sa mise en place. Deux côtés d’un lit en métal servent de supports et prennent appui sur des morceaux de parpaing. Les tôles lancées en dessus sont stabilisées par deux vieux pneus. En bas de la toiture, à même le sol, le sinistré a rassemblé l’essentiel des effets qu’il a pu sauver lors des démolitions. On peut répertorier un matelas, une valise, quelques sacs remplis de vêtements, une bâche en plastique, quelques assiettes, un bidon d’eau de 20 litres, un petit fourre à sciure, des morceaux de parpaing, entre autres. C’est au milieu de ce méli-mélo d’objets étalés sur à peine 2m² que le sinistré se fraye une place chaque nuit pour dormir.
«On dort sur place»
«Le soir on allume des feux. C’est comme dans un camp. Quand le sommeil vient, on dort n’importe où. Certains allument des bougies. On dort sur place pour pouvoir avoir un œil sur les effets qu’on a pu sauver. Heureusement qu’il n’y a pas eu de grandes pluies depuis les casses. Nous ne savons pas si nos abris résisterons dans ce cas », craint Aderance Lontsi, qui vient d’apostropher une vendeuse de beignets qui passe dans le coin. Elle satisfait aux exigences de son fils affamé, qui vient d’écraser plusieurs gouttes de larme. Il retrouve enfin le sourire. Il recommence à courir dans tous les sens, ses beignets bien serrés entre les mains.
« Quand il aura encore faim, il va revenir près de moi », indique la sinistrée. Elle relève que d’autres personnes déguerpies dorment à même le sol, dans une maison en matériaux provisoires épargnée par les engins. « Ils en ressortent très tôt le matin et reviennent s’allonger au sol encore, une fois la nuit tombée», détaille Aderance Lontsi.
Après la destruction de sa maison, « Magni » a utilisé des débris de bois et des feuilles de tôles de son ancien domicile pour élever une petite baraque sans battant ni fenêtre. Lors du passage du reporter, la dame se trouve au marché. « Quand elle rentre du marché, elle prépare la nourriture et mange avec ses enfants. Voilà son foyer de bois juste à l’entrée de sa nouvelle maison», explique un voisin. Qui pointe du doigt un monticule de terre. « Là-bas, il y avait la maison de Ma’a Jeannette ».
Ladite maison n’avait pas été marquée. Pas inquiète, la propriétaire n’avait donc pas procédé au déménagement. Surprise lorsque l’engin de la Cud a démoli sa maison, elle s’est effondrée en larmes, apprend-on. Le bulldozer a ensuite déversé des mottes de terre sur les débris du domicile de la dame. Tout a été enseveli. Ce mardi, la sinistrée est à la recherche de jeunes du quartier à qui elle propose la somme de 3000 F. Cfa afin qu’ils creusent le monticule de terre pour qu’elle puise entrer en possession de ses marmites et récupérer ce qui pourra encore l’être.
Au fil des jours, la plupart des sinistrés du « camp » décampent, lorsqu’ils trouvent la possibilité de se recaser ou de poser valises chez des proches. Mais quelques familles restent toujours dans le désarroi. A côté de ces déguerpis qui dorment à la belle étoile sur les décombres, il y a ceux qui dorment dans des maisons à moitié détruites. La cuisson en plein air et les risques de vol ne sont pas bien loin. Les populations de Makèpè-Missokè, très affectées par les casses indiquent qu’un sinistré, très émue après la démolition de sa maison a fait un Avc et a rendu l’âme.
Léonard Kene Asong tient encore bon et garde le moral haut, mais il ne décolère pas. Cet autre sinistré qui vivait à Makèpè-Missokè depuis 27 ans se trouvait du côté de Bonabéri, à la pénétrante Ouest de la ville, lorsque les engins sont arrivés devant ses deux maisons situées à plus de 35 mètres de l’axe du lit d’eau. Léonard avait déjà prévu de transformer l’une de ses maisons en studio de location pour accueillir ses voisins déguerpis. Un rêve envolé dans les débris.
Après les démolitions, rien !
«Ils n’ont pas respecté les limites en cassant. En plus, on nous avait dit qu’on détruisait nos maisons pour aménager les drains. Depuis qu’ils ont démoli les domiciles, ils ne sont plus jamais repassés ici. C’est choquant. Les gens dorment dans la rue pour un rien finalement. On nous a cassés dans l’urgence. Mais nous ne voyons pas des travaux urgents dans les drains. Regardez, tout ce côté du drain a été bouché par les engins à l’œuvre», se plaint Léonard Kene Asong. Le sinistré fait savoir que lors des casses, le bulldozer a déversé des débris et mottes de terre dans le drain, bloquant le passage de l’eau. « On ne voit aucune activité dans le drain depuis notre déguerpissement. Nous ne comprenons donc pas pourquoi nous avons été expulsés. Maintenant que le drain est plutôt obstrué, l’eau qui ne circule pas se redirige vers les habitations environnantes», s’étonne Aderance Lontsi.
Les riverains font savoir que le retour de l’eau du drain obstrué vers les bâtisses a occasionné des inondations dans la nuit du dimanche 12 juillet 2015. Les maisons inondées situées non loin du marché de Makèpè-Missokè n’avaient jusqu’ici pas été menacées par la montée des eaux lors des averses, apprend-on. Toute chose qui ravive la colère des sinistrés qui s’interrogent sur les « vraies » raisons des démolitions des maisons à Makèpè-Missokè. Cette opération avait été décidée par les autorités publiques au lendemain des inondations qui ont fait d’énormes dégâts à Douala dans la nuit du vendredi au samedi 20 juin 2015. Le reporter a appris que 4225 maisons au total sont à détruire dans le département du Wouri. Les déguerpissements ont commencé, les aménagements des drains pas.
Les acteurs de la société civile au Cameroun déplorent cette opération de déguerpissement dans la ville de Douala. Ils dénoncent le non respect des Droits humains et l’absence d’indemnisation des sinistrés. « Après ces casses, rien ne va évoluer. Ils vont prendre tout le temps qu’ils veulent comme d’habitude», s’offusque Jean Bertin Kémayou, point focal de l’Ong Dynamique citoyenne/coordination du Littoral. Il pense que le problème de Makèpè-Missokè, c’est que le drain n’a pas été curé depuis huit ans. Ce qui a occasionné la création d’un terre-plein qui a obstrué les 4/5e du drain. «C’est du saupoudrage. Les casses, c’était une précipitation pour ne pas indemniser les habitants. Pourtant, la Cud a reçu 109 milliards F. Cfa de l’Agence française de développement pour ces travaux », croit savoir Jean Bertin Kémayou.
Mathias Mouendé Ngamo