La proximité au fleuve, le cadre de vie et le non respect de certaines règles d’hygiène exposent les habitants de ce quartier populaire de Douala 4ème à diverses maladies.
Si un cas de virus Ebola arrivait à être détecté à Mambanda, quartier populaire de Bonabéri, il viendrait à coup sûr du lieu-dit Pêcheries, nom de baptême attribué à une berge du fleuve Wouri où l’activité de vente du poisson et du bois se développe depuis plusieurs années. Lareine Chokouatou, infirmière brevetée, en est convaincue. En service au Centre de santé Le Samaritain situé à quelques kilomètres seulement des Pêcheries « Douala Beach » et « Bamenda Beach », la jeune dame soutient que ce lieu peut servir de porte d’entrée au virus, puisque des pêcheurs Nigérians y accostent régulièrement pour vendre du poisson aux commerçants camerounais. L’infirmière craint que le virus Ebola en circulation dans le pays voisin, où plus de dix personnes ont déjà été tuées, ne s’invite au Cameroun en passant par Mambanda. « Le choléra était parti des Pêcheries !», se rappelle Lareine Chokouatou. Elle relève que la formation sanitaire où elle officie avait, en 2012, détecté deux cas de choléra. Les patients avaient été référés à l’hôpital de district de Bonassama pour la prise en charge.
Ebola n’est certes pas détecté au Cameroun pour l’heure, mais la psychose s’est déjà installée à Mambanda. A l’abattoir des porcs du marché, des commerçants indiquent que la clientèle a considérablement diminué depuis le mois de juillet. « Les gens se disent que le porc vient aussi de la brousse. Ils confondent le porc avec le porc-épic », se désole Simon Djokeng, vendeur dans cet espace marchand depuis onze ans. Le petit commerçant rapporte que la recette a pris un coup. Sur les 60 000 F. Cfa de recette journalière réalisée régulièrement, le boucher s’en tire actuellement avec environ 30 000 F. Cfa par jour. Il doit en plus répondre quotidiennement aux interrogations des clients sur les possibles risques ou non de contracter le virus Ebola en consommant de la viande du porc.
Ebola crée la psychose
Ce lundi 25 août 2014, Simon Djokeng marchande avec une potentielle acheteuse. Deux dames de passage près des comptoirs de viande de porc s’exclament. « Tu veux acheter Ebola ?», lance l’une d’elle à l’acheteuse. Pourtant Milat Esselem, inspecteur vétérinaire sanitaire assermenté, est formel. Le porc n’est pas un porteur du virus Ebola. Pour éviter des maladies ou autre épidémies chez les consommateurs, le vétérinaire en poste au marché Mambanda indique qu’il inspecte toutes les bêtes avant et après abattage. « Si on constate un cas de maladie, le vétérinaire déclare ce porc impropre à la consommation. Nous détectons souvent des bêtes présentant le Rouget, la maladie rouge du porc. Les bêtes malades sont saisies et détruites», explique Milat Esselem.
Mais un autre danger guette les clients de l’abattoir. L’espace est insalubre. Des détritus jonchent le sol. Les ordures sont à la hauteur d’un puits creusé dans le coin et utilisé par les bouchers. A la moindre averse, il est possible que les ordures se déversent dans le point d’eau. L’abattoir de Mambanda n’est pas le seul point à risque de propagation épidémiologique de ce quartier, où l’insalubrité et les habitudes des populations exposent à diverses maladies. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un tour dans quelques uns des 39 blocs de ce quartier qui s’étend sur près de 500 hectares et abrite une population estimée à 132 000 habitants constitués pour la plupart de jeunes et de femmes. Premier arrêt ce lundi, le bloc 20.
Le couloir est jonché de flaques d’eau et de boue. Difficile de se déplacer. Pas d’autres choix que de tremper les pieds dans l’eau pour rallier d’autres rues. Les dégâts de la pluie de la veille sont encore visibles. Certains habitants s’activent pour extraire de l’eau dans les domiciles. D’autres s’adonnent à la lessive. L’eau savonnée est déversée dans des drains étroits. Les eaux de ruissellement sont difficilement évacuées. Pour cause, au bout de la rue, une maison bloque le passage. Le propriétaire des lieux a construit des toilettes au dessus du drain. Il a pris le soin de laisser une petite ouverture sur son mur, ramenant ainsi le drain de 3 mètres de largeur, à tout juste 40 centimètres.
Ces toilettes avaient déjà été détruites en 2008, nous apprend Joseph Tufoin, le chef de quartier, qui nous sert de guide. Mais les mauvaises habitudes ont la peau dure. A quelques encablures des toilettes reconstruites qui obstruent le passage, un autre Wc trône au dessus de la rigole. Selon les habitants de Mambanda, cette situation prévaut également dans les blocs 15, 19 et 21, entre autres.
« Il y a des gens qui vidangent leurs toilettes dans les drains, pendant les pluies. Lorsqu’il y a inondation, vous retrouvez de la matière fécale dans votre domicile »,
renseigne un habitant du bloc 20.
Le porc à la maison
Près du lieu-dit Perfusion Bar, une jeune fille âgée d’environ 13 ans jette des ordures dans un tas d’immondices entreposé près de la rigole. Non loin, quatre enfants jouent au ballon. La balle s’échappe, roule et flotte au dessus d’une eau noirâtre, dans laquelle baigne de la mousse végétale. L’odeur qui s’y dégage agresse les narines. Un des gamins, torse-nu, accourt. Il pénètre dans la marre et ramasse la balle. Le manège recommence plusieurs fois.
A un jet de pierre des petits footballeurs, une enfant âgée d’à peine 3 ans est postée au milieu du chemin. Elle se promène les pieds nus. Elle a un t-shirt pour seul vêtement. Elle s’arrête un moment. Elle vient de repérer un « jouet » au milieu d’un tas de détritus rassemblé au milieu de la voie. Elle se précipite et ramasse l’objet enduit de boue. Elle le tient jalousement et ne rejoint pas les autres gamins qui jouent au ballon. Aucun adulte n’est visible dans les trente mètres à la ronde.
Rencontre avec Randan Manda. La fillette de 15 ans fait la lessive. Elle nettoie tous les vêtements qui ont été trempés dans l’inondation. Elle indique que la maison a été inondée la veille pendant la grande averse. Le salon et les autres pièces du domicile ont été envahis par les eaux chargées de détritus de tout genre. Une porcherie jouxte la maison où réside la jeune fille. Lors des inondations, une partie des selles des bêtes se déverse dans la petite rigole qui sillonne près du domicile construit en matériaux provisoires. L’autre partie des excréments flotte à l’intérieur de la maison et se déverse sur la voie empruntée par les habitants du quartier. « Quand il y a soleil, le quartier commence à sentir. L’odeur est souvent insupportable, mais on est déjà habitués », affirme Randa Manda.
L’élevage (artisanal) de porc est en effet très développé dans ce quartier populaire de l’arrondissement de Douala 4ème. Les porcheries jouxtent des maisons d’habitation. Le chef du quartier Mambanda déplore cette proximité entre les bêtes et les personnes. Il soutient qu’il a plusieurs fois demandé à quelques propriétaires des bêtes d’éloigner les porcheries de leur domicile, en vain.
« Pour certains habitants de Mambanda, vivre dans la saleté est ce qu’il y a de plus normal. Des porcheries côtoient des maisons. Des gens ont construit sur des drains. En ma qualité de 3ème adjoint au maire de Douala 4ème, je suis entrain de prendre un certain nombre de mesures pour éloigner les porcheries des maisons. Tout commencera par une phase de sensibilisation forte. Puis on passera à autre phase, plus sévère», a promis Joseph Tufoin.
« On bagarre avec les moustiques »
En attendant l’exécution de ces mesures du chef de quartier, les populations de Mambanda continuent de vivre le calvaire des inondations. La proximité avec le fleuve Wouri et le terrain marécageux n’arrangent pas les choses. Les habitants ont les pieds dans l’eau. Non loin du Centre de santé islamique, un vieillard vit au milieu des eaux. La bâtisse du sexagénaire construite en matériaux provisoires croupie sous le poids de l’âge. La maison est inondée, même lorsqu’il ne pleut pas. A travers la fenêtre entrouverte, on peut apercevoir le lit du vieillard entourée d’eau. Il y a tout à côté, une table et une lampe tempête posée au dessus.
Le sexagénaire, visiblement souffrant, se déplace en trainant des pieds. « Si on te retrouve encore dans cette maison la prochaine fois, on va faire appel aux Droits de l’Homme », menace Joseph Tufoin. La veille, une équipe de la chefferie avait déjà sommé le vieillard d’aménager dans une autre pièce lui appartenant, construite en matériaux définitifs, non loin de la baraque de fortune.
Au domicile de Seidou Nchouwat, des vêtements lavés sont étalés au salon. La maison est humide. Les murs sont défraichis. Une situation propice à la multiplication des moustiques. « Ici on bagarre avec les moustiques », affirme le père de famille. Un puits creusé dans la cour ravitaille la concession. « Lorsque l’eau ne coule pas des robinets, on se sert de cette eau du puits pour des tâches ménagères. Mais on ne fait pas de la lessive avec, parce cette eau a de la rouille », renseigne t-il. Charlotte Apoba, habitante au lieu-dit Carrefour Aladji, soutient que dans le Mambanda profond, au lieu-dit Tango par exemple, il y a des habitants qui filtrent des eaux de puits pour faire le ménage et la cuisine. « Il n’y a pas de borne fontaine publique à Mambanda », dit-elle.
Selon Aimé Kamkeng, en services au Centre de santé Lumière à Mambanda, les patients enregistrés souffrent beaucoup plus de paludisme, de typhoïde, de diarrhées et de maladies de la peau. Il y a en outre, pendant la saison sèche, des cas de toux dû à la grande poussière qui s’élève et « embaume » tout le quartier. « L’hôpital fait des campagnes de sensibilisation lors des vaccinations, pour amener les populations de Mambanda à lutter contre l’insalubrité», renseigne Aimé kamkeng. Il y a en plus, la journée de propreté à Bonabéri le dernier jeudi du mois, instituée par la sous-préfecture et la mairie. « Il y a des gens qui s’entêtent et ne veulent pas y participer. C’est souvent sur les effets de la culture tribale ou sur l’influence de la drogue », se désole le chef du quartier Mambanda. Pour y remédier, il entend mettre sur pied des comités de développement dans chaque bloc, avec des jeunes volontaires.
Mathias Mouendé Ngamo