Essoufflé, un coureur s’arrête et effectue quelques étirements. L’air en provenance du fleuve caresse son visage. Les gouttes de sueur disparaissent peu à peu de ses tempes. Le sportif a repris quelques forces. Il se remet à courir. Un autre, au bout de l’effort, a pris place sur une pierre tout près du fleuve. Ici la vue est imprenable. Une touffe d’herbe cède à la pression d’une vague et flotte au-dessus des eaux. Les bateaux ont accosté au loin.
Les voitures défilent sur le pont du Wouri, là-bas, tout en haut. Le jeune homme a le regard plongé dans le fleuve. « Je suis venu m’asseoir ici pour profiter un peu de l’air frais, du beau temps, et me sentir à l’aise. C’est calme. J’aime bien », indique-t-il. Après un moment de conversation, le jeune homme se remémore le passé. Il secoue la tête, puis lance : « La base Elf ci n’est plus comme avant hein !!! ». Notre sportif fait référence à l’état de décrépitude de cet espace de détente et de divertissement.
A bien observer le milieu, on comprend les inquiétudes du riverain. La jacinthe d’eau, cette sorcière végétale qui dévore les cours d’eau, s’est greffée sur les berges du fleuve. Elle gagne progressivement la partie continentale. Des herbes ont poussé entre les pierres au bord du fleuve. Ce dimanche 7 octobre 2012, un homme y est dissimulé. Il est à la recherche d’escargot. La prise est bonne. Il tient près de dix escargots entre ses mains. La hauteur des herbes à certains endroits ne permet pas au visiteur d’avoir une bonne « vue sur la mer » depuis un banc public.
La majorité des sièges en béton qui tiennent lieu de bancs publics sont d’ailleurs endommagés. Ceux qui ont résisté à l’usure du temps sont recouverts de moisissure. L’état de délabrement ne laisse pas penser qu’une couche de peinture y avait été apposée. Le terre-plein qui longe la base Elf et passe devant la rangée de bancs publics est recouvert de mousses végétales. Sous l’effet de l’érosion peut-être, des fissures et des cassures se sont formées par endroit. Du coup, il faut être prudent lorsqu’on se déplace sur cette partie surélevée du sol.
Un peu plus loin du fleuve, sur la partie goudronnée qui conduit vers la grande chaussée, on croise un groupe de coureurs. Nous allons les suivre, mais pas au même rythme. Le jean ne nous le permet pas en tout cas. Et en plus, nous ne sommes pas là pour la même cause. Sans interrompre le rythme du trot, Pascal Fotso, un membre du groupe, s’entretient avec nous.
« Avec toutes les sociétés qui se sont installées ici, la base Elf est devenue très étroite pour les sportifs. Avant nous pratiquions tous nos exercices physiques ici. Maintenant, on fait juste quelques étirements, puis on fait le tour de la ville : base Elf-Direction des Douanes-Soudanaise-Rond point Deïdo-base Elf»,
relève-t-il, avant de prendre une échappée. Le groupe se faufile au milieu d’autres sportifs regroupés devant des dépôts de sociétés qui pullulent dans les alentours. Ces entités industrielles ont commencé à s’installer en ces lieux au début des années 2000, apprend-t-on.
Où aura lieu le Ngondo ?
Chacun se démerde donc comme il peut pour trouver un espace pour détendre ses muscles. Des sportifs se sont installés sur l’autre côté de la base Elf, en contre bas de la grande chaussée qui mène au rond point Deïdo. Ici encore, ils devront faire attention aux voitures qui surgissent par moment. Tout près d’eux, le reste d’arbres d’eucalyptus coupés il y a quelques années est envahi par la broussaille. Du vert pâturage pour les bergers qui y conduisent souvent leurs bêtes pour les paître. Une famille en jogging a ciblé un petit espace entre deux voitures stationnées. Elle n’en demandait pas plus.
Le grand stade sur lequel les passionnés de football organisaient des matchs tous les dimanches est encerclé par une grande clôture en bois. De gros engins sont à l’œuvre sur le site, pour la construction de la cimenterie de l’homme d’affaires Nigérian, Dangoté. « On ne pouvait pas construire toutes ces sociétés qui occupent la base Elf ailleurs ? Je ne suis pas contre le développement économique. Mais l’activité sportive est tout aussi importante pour la santé. Qu’on aménage un autre endroit pour la population.
Près de la brigade de Deïdo par exemple », propose Ambroise Longmene, moniteur de sport à la base Elf. André Kinguè, un autre habitué des lieux, se demande où aura lieu la célébration du Ngondo qui se déroule d’habitude sur les berges du fleuve et draine une foule immense. Les dignitaires Sawa, lors d’une assemblée générale, avaient affirmé que cette édition de la « messe de l’eau » se tiendra bel et bien sur les berges du Wouri, comme les années antérieures. Attendons donc.
Intéressons-nous plutôt à ces jeunes footballeurs qui ont repéré un espace de fortune tapis d’herbes, entre deux sociétés. Ils partagent le même endroit avec des bœufs venus brouter de l’herbe fraiche. D’autres sportifs, habitués à se défouler sur le grand stade, ont aménagé un terrain de football sur l’autre bras mort du fleuve, du côté de la brigade territoriale de Deïdo. « La base Elf est notre Parcours Vita. Nous n’avons pas un autre endroit. Avant, on allait pratiquer du sport dans les établissements scolaires les week-ends. Maintenant, il n’y a plus trop de liberté d’accès dans ces écoles. Qu’allons-nous faire ?», se plaint Ferdinand Chamtieu, un habitant de Bonaberi.
Insécurité
« On pouvait compter près de 4000 personnes à la base Elf le dimanche matin, jour de grande affluence. Les visiteurs venaient de différents quartiers, notamment de Bonabéri, Bépanda, Madagascar, Deïdo, Bali, New-Bell, entre autres. Actuellement, on enregistre environ 500 personnes lorsqu’il y a affluence le dimanche», relève M. Domché, photographe à la base Elf. Selon le photographe, la fréquence des pique-niques, des rendez-vous amoureux et des ballades est en baisse depuis 2002. Les recettes quotidiennes du petit commerçant y prennent un coup.
« Lorsque la base Elf vivait encore, je me souviens qu’il y a des sociétés qui envoyaient des agents commerciaux faire la promotion de leurs produits. Il y avait de l’ambiance »,
se rappelle Adamou Wandji, un sportif. Une partie des riverains, apprend-t-on, s’est déportée du côté du parcours Vita à Bonamoussadi, pour renouer avec les activités sportives du week-end. D’autres visiteurs de la base Elf investissent le jardin public à la place de Bonassama à Bonabéri.
A en croire les témoignages de riverains, la base Elf se transforme en coupe gorge le soir tombé. Des agresseurs y sèment la terreur dès 18 heures. Ils réclament argent, bijoux et portables aux visiteurs encore présents sur le site. A cette heure de la journée, le soleil a déjà rejoint l’horizon. Il n’y a aucun lampadaire pour éclairer les lieux. Les lampadaires montés lors de la création de la base Elf en 1990 ont été tous vandalisés.
Fort heureusement, il y a des gendarmes de la brigade Port Nord qui patrouillent souvent dans les parages. Des suspects sont interpellés et conduits à la brigade. « Des ‘’Nanga Boko’ (enfants de la rue) passent souvent toute la journée ici, couchés sur les bancs publics. Ils s’en prennent aux gens le soir. Et ils font leurs selles partout à la base Elf », déplore Francis Bama, un quinquagénaire. Les agresseurs ont menacé plusieurs fois de le jeter dans le Wouri.
Monsieur propreté
Agé de 50 ans, c’est lui, Francis Bama, qui assure la propreté de la base Elf. Du moins, en partie. Une tâche qu’il effectue de manière bénévole tous les jours de la semaine depuis l’an 2000. Ce dimanche 7 octobre 2012, il est à la tâche. Balaie et râteau à la main, il rassemble les feuilles des « Accassié Fontenela » (arbres plantés à la base Elf, en provenance du Sénégal) et les entasse dans une poubelle.
Lorsqu’il a terminé, il fait la ronde et demande des contributions volontaires aux visiteurs. La collecte avoisine à peine 1000 F. Cfa les jours ordinaires, et 3 000 à 4 000 F. Cfa les week-ends. Le quinquagénaire habite le quartier Bépanda et se rend tous les jours à 6 heures à son « boulot », qu’il termine à 18 heures.
A l’aménagement de la base Elf en 1990 sous l’ère Pokossy Ndoumbè, alors délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Douala (Cud), Francis Bama travaillait avec une entreprise de sous-traitance pour la propreté de la base Elf. Ils étaient cinq employés et touchaient 40 000 F. Cfa le mois chacun. Le contrat avec la Cud se rompt en 2000.
« Ici tout brillait. Il y avait des lampadaires. Les arbres et les cailloux étaient peints. Il y avait des prises électriques. Quand la Cud a cessé de s’occuper la base Elf, je n’étais pas fier de voir cet endroit sale. Je me suis engagé dans le bénévolat », raconte le jardinier. Il a plusieurs fois sollicité l’aide de la Cud. Qui jusqu’ici ne lui a apporté du soutien qu’en lui offrant trois machettes. Rien de plus. « J’ai plusieurs fois demandé l’audience pour rencontrer le délégué, sans succès. Son directeur de cabinet m’a répondu que la Cud n’a pas prévu de budget pour la base Elf ». C’est dire que les jours de la base Elf sont comptés.
Mathias Mouendé Ngamo