La pirogue écologique, concept d’Ismaël Essome, un jeune camerounais de 27 ans, permet de lutter contre la pollution plastique, le déboisement et le changement climatique.
Le climat est doux ce mardi du mois de juillet 2017 sous le ciel de Kribi, chef-lieu du département de l’Océan, dans la région du Sud du Cameroun. Mais les eaux de la mer sont particulièrement agitées. La marée est haute et aucun jeune n’a osé lancer sa pirogue à l’eau, dans ce village qui compte près de 400 pêcheurs. La hauteur et la force des vagues dissuadent quiconque projette de s’y aventurer. C’est aujourd’hui, et dans ces conditions non favorables à la navigation, qu’Ismaël Essome a décidé de tester l’efficacité de sa pirogue écologique devant quelques journalistes et une foule de curieux sceptiques. La particularité de son canoë, qu’il a d’ailleurs baptisé « Ecoboat» (pirogue écologique, en anglais), c’est qu’il a été entièrement construit à base de bouteilles en plastique recyclées. «Où vas-tu avec ton jouet-là ? Ca va se déchirer dans l’eau», lance un pêcheur, natif du coin. Puis, il éclate de rires.
Alors que des curieux expriment leur doute quant à la réussite du test, Ismaël Essome s’éloigne du rivage avec sa barque. Il est tout confiant. Pour cette petite virée en mer, le jeune homme n’a pas mis de gilet de sauvetage. Il rame à contre courant. Il est bientôt à près de 150 mètres de la rive et s’apprête à effectuer le chemin retour. Ismaël défie les vagues qui prennent de plus en plus de hauteur. Moment de panique. Une vague de près d’un mètre vient de soulever l’embarcation d’Ismaël. Les populations du village Londji crient. Mais la pirogue écologique, telle une chenille, s’ondule et est tirée d’affaire.
600 000 tonnes de déchets plastiques par an
«Les pêcheurs m’ont expliqué que s’il s’agissait d’une pirogue en bois, elle se serait brisée aussitôt. La pirogue en bouteilles plastiques a résisté parce qu’elle est flexible»,
explique le concepteur de l’Ecoboat.
Pour confectionner ce petit bijou qui fascine tant, Ismaël Essome, 27 ans, a rassemblé mille bouteilles plastiques collectées dans des drains à Douala, la capitale économique du Cameroun. Les bouteilles ont ensuite été assemblées en blocs de dix, reliées par un fil. Le bloc ainsi obtenu est la base de la construction d’une pirogue écologique, apprend-on. « Ces blocs sont assemblés après pour former plusieurs niveaux. Ces différents niveaux sont liés jusqu’à ce qu’on réussisse à former les différentes parties qui sont le plancher, les bordures et les sièges de la pirogue. L’ultime étape c’est la liaison de toutes ces parties pour avoir notre pirogue écologique», détaille Ismaël Essome. Le travail dure environ une semaine.
L’idée de concevoir une pirogue à base de bouteilles plastiques recyclées survient en 2011, lorsque le jeune homme, alors étudiant à l’université de Douala, est surpris par une pluie au retour des classes. Il est obligé de s’abriter. Il voit défiler des bouteilles plastiques dans la coulée d’eau devant lui. En quelques minutes d’averse, son quartier est inondé. Ismaël décide alors de trouver une solution pour s’attaquer à cette pollution plastique. Il s’inspire de ses études en ingénierie halieutique et gestion environnemental et se lance dans la construction d’une pirogue à base de bouteilles plastiques. Les premiers blocs sont montés. Mais le fil et la technique ne sont pas encore véritablement au point. En avril 2016, le jeune inventeur crée une start-up baptisée « Madiba and Nature», pour mieux perfectionner et aboutir son concept. Cinq jeunes embarquent dans cette aventure de recyclage de bouteilles.
Et ce n’est pas la matière première qui manque. Il y en a même en surabondance. Les jeunes de « Madiba and Nature » ont justement fait un état des lieux de la pollution plastique à Douala, au départ de leur initiative.
« Nous avons constaté que les drains sont obstrués par les bouteilles plastiques de toute sorte dans la capitale économique avec tout ce que cela entraîne comme inondations et catastrophes naturelles », déplore Ismaël Esome.
Challenger les drains
Avec sa petite équipe, ils se déploient sur le terrain, en mettant en avant le volet de la sensibilisation des populations. Au mois d’août 2017, « Madiba and Nature » lance le projet « Challenger les drains ». Une interpellation à l’endroit des riverains à se mettre ensemble pour débarrasser les drains des déchets plastiques. Un appel à volontaire est lancé via les réseaux sociaux, mais seule une dizaine de personnes répondent favorablement et rejoignent les jeunes de « Madiba and Nature » sur les rives du Kondi, un drain situé entre l’arrondissement de Douala 3ème et Douala 5ème. En cinq semaines de dur labeur, 5000 bouteilles sont collectées et trois pirogues écologiques construites.
Un chef de quartier établi non loin du drain du Kondi croit savoir pourquoi l’appel à volontaires de « Madiba and Nature » n’a pas connu un grand succès. Il explique qu’il y a un an, les populations avaient été mobilisées pour libérer le drain du Kondi. «Les bouteilles collectées ont été rangées dans des grands sacs posés sur le rivage. Hysacam (la société de ramassage des ordures, ndlr) n’est pas passée les récupérer et tout le contenu des sacs s’est retrouvé à nouveau dans le drain. Les populations ont été très déçues. D’autant plus qu’elles ont été menacées par la prolifération des moustiques à cause de cette insalubrité», déplore-t-il. Ismaël estime à près de 100 000 le nombre de bouteilles qui obstruent le drain du Kondi. La situation est similaire dans d’autres drains et dans les rues des villes du Cameroun. Selon les statistiques du ministère de l’Environnement, de la protection de la nature et du développement durable, le Cameroun produit 600 000 tonnes de déchets plastiques chaque année.
Déboisement et changement climatique
Pour Ismaël Essome, le projet de collecte de ces bouteilles plastiques en vue de la construction des pirogues écologiques permet de limiter la prolifération des moustiques dans les quartiers et de lutter contre les inondations et son lot de maladies hydriques.
«Le projet ‘’Madiba and Nature’’ a un focus sur l’adaptation et la mitigation au changement climatique. Nous sommes dans l’ère du développement durable, où l’humanité est en train d’affronter les pires épreuves de son existence. Nous avons consommé l’intégralité des ressources naturelles. Ce qui veut dire qu’actuellement nous puisons dans les réserves pour notre développement », détaille-t-il.
Le jeune entrepreneur fait savoir en outre que « Madiba and Nature » promeut la lutte contre la déforestation à des fins de construction des pirogues en bois, dans un pays qui compte près de 250 000 pêcheurs artisanaux, d’après un rapport du Fonds des nations unies pour l’alimentation (Fao).
«Le projet de construction des pirogues écologiques est une initiative à accompagner. Ramasser des objets dans la logique d’une économie circulaire, suppose aussi la réutilisation. On se rend compte que dans ce projet, ce concept est mis en évidence avec un meilleur résultat. L’Organisation des nations unies (Onu) a lancé une campagne de lutte contre la pollution des océans par les déchets plastiques. L’initiative de ‘’Madiba and Nature’’ est un projet innovant dans ce sens», apprécie Alain Rodrigue Ngonde. Il est le directeur général de Red-plast Sarl. L’entreprise est spécialisée depuis cinq ans dans la collecte, le tri et la revalorisation des déchets plastiques. Pour cet entrepreneur-vert, le Cameroun est un territoire insulaire et à ce titre, le projet de pirogues écologiques peut faciliter le déplacement des populations côtières, « sous réserve de l’amélioration de l’aspect sécuritaire du prototype».
Avec « sa » pirogue écologique, Ismaël Essome s’est aussi lancé dans un autre projet, celui de la promotion de l’éco-tourisme à Kribi sur les plages de Londji. Là-bas, il pilote un programme de lutte contre la pollution sur la côte du Sud. Des ballades en mer sont organisées avec des touristes étrangers et locaux dans cette cité balnéaire. L’ambition du jeune entrepreneur-vert aujourd’hui en panne de financements, est de mobiliser plus de fonds pour perfectionner la pirogue écologique, la répliquer sur toute l’étendue du territoire nationale et la vulgariser.
«Nous aimerions aller sur tous les plans d’eau, booster l’activité de pêche artisanale et conquérir le marché international », espère Ismaël Essome.
Mathias Mouendé Ngamo
#ODD14.1: D’ici à 2025, prévenir et réduire nettement la pollution marine de tous types, en particulier celle résultant des activités terrestres, y compris les déchets en mer et la pollution par les nutriments
#ODD13: Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques